8 | PRIÈRE

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QUAND J'AI OUVERT LA PORTE, ma mère mettait ses chaussures. Son visage s'est fermé dès qu'elle m'a vue et je me suis retenue de pleurer. J'ai baissé la tête et le visage crispé, j'ai contourné son regard pour me diriger vers les escaliers. Je me suis enfermée dans ma chambre directement.

J'ai du mal à respirer. Je jette mon sac de cous sur le lit et m'allonge sur le paquet. L'air est trop lourde, trop chargée de colère ou je ne sais quoi. De peur ? N'importe quoi. C'est eux qui ont eu peur de moi.

Quand j'entends la sonnerie du téléphone fixe, je panique. La voix de ma mère résonne dans toute ma chambre jusque dans mon estomac. Elle raccroche et j'entends déjà ses pas contre les escaliers. Stop. Non, non, non.

Je me rapproche de la porte et colle mon dos contre celle-ci.

J'inspire, j'expire, je sais qu'elle est derrière.

— L'école m'a appelé.

Ils ont fait vite. Sa voix est dure, profondément énervée. Elle peine à contenir son calme alors que moi, je peine à ne pas montrer le déluge d'émotions négative qui me traverse. Je ne dis rien et tente un visage neutre. Je ne veux pas ouvrir la porte, si elle me voit comme ça, elle va en profiter. Ma mère me transperce de mots sourds que je comprend et accepte, je ne me sens pas du tout fière de moi non plus. Elle continue :

— Sort de là. Accompagne moi pour la prière.

J'obéis. Après avoir séché de nouvelles larmes, je redescends sans mon uniforme et remet mes chaussures. Je ne ressens même pas l'utilité de me défendre. Que ce soit avec Mei ou ma mère, elles finissent toujours par gagner.

LE CHEMIN EST LONG, presque interminable et parsemé de pièges mais il n'en dégage pas moins une ambiance hors du commun, quelque chose d'onirique. À deux hallucinations prêt, on pourrait croiser la route d'une fée. Enfin, si les filles-poissons existent, pourquoi pas les filles-papillons ? Nous traversons les arbres tordus, les pierres décorées et le torii – presque intact si ce n'est de la mousse qui grimpe sur le bois peint – nous montre le chemin. Même si je ne fais pas confiance aux dieux et aux divinités je ne peux qu'apprécier cet endroit glauque. Le paysage est extraordinaire on se sent complètement détaché du monde.

Ma mère grimpe bien plus vite que moi, habituée à faire ce chemin toute les semaines, elle se fiche pas mal du décors des environs. Ses yeux sont fixés vers son point d'arrivée, le temple, qui n'est plus très loin.

Personnellement je préfère marcher lentement. Ça ne me dérangerait pas tant que ça en vrai, ma mère détesterait que je fonce encore tête baissée, je ne suis pas là pour m'amuser. On me punis là, parce qu'elle sait que je déteste ça.

Pourtant ici le calme est bien moins stressant qu'ailleurs. Accueillant sans être trop ennuyant, je peux regarder la courbe les arbres et imaginer des choses. Il y a tellement de choses à observer que l'on peut y passer des heures sans se rendre compte.

Lorsque nous arrivons sur place, ma mère se presse pour commencer sa prière.

Les genoux posés sur les emplacements, nous la commençons ensemble.

Cette fois, le silence ne pourrait pas être plus tendu. Dès que ma mère s'en mêle on ne peut même plus s'entendre penser. Je ferme les yeux et essaie de ne plus penser à rien. Je l'entends murmurer quelque-chose. Mince, je me suis mal positionné.

Elle est certainement très en colère, et je ne pourrais sûrement pas me trouver d'excuses. Ce n'est pas évident de justifier une gifle par la tonne de moqueries que le mollusque m'a balancé depuis trois ans. Le coup de la porte des toilettes qui m'a empêcher de participer au festival de sport (je suis sûre que c'est elle qui m'a coincé le pied, j'ai entendu son rire). Elle ne me croirait pas parce que d'un côté, Mei joue bien le rôle de la gamine parfaite et de toute façon, j'ai toujours le mauvais rôle pour elle. Ma mère croit certainement que je me sers de ma force pour intimider les petites gamines superficielles. Pourtant je me retiens tellement qu'au lycée, personne ne me connaît pour mes coup de pieds et mes bêtises, la plupart me voient seulement comme « La fille des marchands de poissons » et rien d'autre.

ALGUEMOUREUSEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant