Chapitre 4 (1/3)

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Pearl

Je regardai Dead se racler la gorge, juste avant qu'il n'entortille sa moustache entre deux doigts. Si je n'étais pas à deux doigts de comprendre que j'avais failli passer l'arme à gauche, j'aurais jeté un coup d'œil à Drink pour lui confirmer que le Tears avait bien choppé le tic d'entortiller sa nouvelle moustache entre deux doigts, comme elle le craignait. Mais l'idée faisait peu à peu son chemin dans mon esprit, et je ne pouvais pas faire autre chose que fixer Dead avec de grands yeux. À sa mine sérieuse, il semblait réfléchir. Il finit par biaiser :

— Techniquement, on ne te l'a pas jeté dessus... puisque tu l'as esquivée.

— Je l'ai esquivée uniquement parce que tu m'as poussé ! m'exclamai-je. Si tu n'avais pas été là...

— ... tu te serais retrouvée avec une lame en pleine poire, termina pour moi Drink, visiblement à deux doigts de s'évanouir.

— Je... commençai-je, pas certaine de comment finir cette phrase.

On est sensé réagir de quelle manière, quand on apprend qu'on a failli y passer ?

— Merci, Dead, dis-je avec sincérité, à défaut de savoir quoi dire d'autre.

Sans doute pitoyable.

— Pas de quoi, répondit-il en haussant les épaules, se dressant sur les genoux pour voir de l'autre côté du bar. C'est mon job pour le moment.

Un bruit de froufrou et une main chaude enserrant la mienne me fit tourner la tête vers Drink, qui s'était rapprochée.

— J'ai eu bigrement peur, m'annonça-t-elle en serrant mes doigts presque douloureusement. J'ai vu la scène. C'était comme au cinéma, tu sais. Quand tu sais qu'un malheur va arriver, mais que tu es trop lent pour l'empêcher. Le couteau... il allait tellement vite. (Elle secoua la tête et ferma fort les paupières, comme pour effacer l'image de son esprit. Quand elle les rouvrit, ses yeux étaient humides de larmes contenues.) J'ai cru que tu allais mourir aujourd'hui, termina-t-elle, sa voix se brisant sur un sanglot.

Serrant à mon tour sa main, je me penchai vers Drink pour être sûre d'avoir toute son attention.

— Je vais bien, affirmai-je. Tout va bien.

Elle renifla et hocha la tête.

— J'ai eu peur quand même, sapristi.

Malgré la boule qui m'obstrua soudain la gorge, je lui souris. Je commençai enfin à prendre conscience que j'avais failli y passer. Je planquai mes mains tremblantes sous mes cuisses pour qu'elle ne les aperçoit pas. Si elle voyait que je commençais à céder à la panique, elle n'allait pas tarder à suivre, et une Drink paniquée se transformait rapidement en une Drink thermonucléaire 2.0.

Alors que j'allais lui dire que tout semblait rentrer dans l'ordre, et qu'il était temps de se relever, une insulte fusa, et le bruit très significatif de la chair frappée violemment contre la chair résonna, très distinctement.

Prenant mon courage à deux mains, je me risquai à regarder par-dessus le bois lustré du bar.

En moins de temps qu'il ne faut pour le dire, la vulgaire querelle de table vira à la bagarre générale. Des tables furent violemment renversées, des verres se brisèrent en touchant le sol, des cris s'élevèrent. Un vacarme assourdissant enfla rapidement entre les murs.

Je restai muette devant le spectacle, comme figée. Je ne sentais même plus les éclats de verres me percer la peau. Comment avait-on pu en arriver là en si peu de temps ? Nous faisions le service, tout allait bien... et voilà que nous nous retrouvions projetées en plein délire.

Bouche bée, je regardai bien malgré-moi un type aussi épais qu'un bucheron plier son bras en arrière avant de jeter avec une force phénoménale une chope de bière – pleine – en direction de la foule.

— Mais il est fou ! m'écriai-je en resserrant ma prise sur le comptoir. C'est dangereux !

Je priai pour que le projectile en verre n'ait touché personne. Lancé à pleine vitesse contre une tête, je n'osai pas imaginer les dégâts, ni qui s'en sortirait vainqueur. Le verre ou le crâne ? Remarque, c'est toujours plus gentil que de lancer des couteaux sur les gens innocents, fit une voix narquoise dans mon esprit.

— Pearl ! chuchota avec véhémence Drink. Pearl ! (Voyant que je regardais encore par-dessus le bar, elle tira sur ma jupe pour me faire revenir à couvert.) Mais reste cachée, idiote !

De nouveau assise sur mes talons, en sureté derrière le rempart de fortune, je me tournai vers elle. Dead était lui-aussi agenouillé derrière le bar, à ceci près qu'il avait un téléphone vissé à l'oreille et que ses lèvres bougeaient à toute vitesse.

— Mais il faut faire quelque chose, ils sont tous en train de se taper dessus ! m'écriai-je.

— Et qu'est-ce que tu espères faire ?! s'outragea-t-elle en agitant dans tous les sens son index tendu. Si tu comptes aller tester la force de tes poings par rapport à ceux des Tears, tu peux être certaine que tu ne rivalises pas. (Elle secoua la tête, comme pour effacer les images d'une scène qu'elle parvenait aisément à visualiser.) Tu vas te retrouver à l'hôpital ! Ou peut-être même au cimetière. Moi vivante, tu n'iras pas là-bas, conclut-elle avec un regard on ne peut plus sérieux.

Évidemment que je n'allais pas me jeter tête-bêche dans la mêlée, je n'étais pas totalement inconsciente. Je me doutais bien que je ne ferai pas le poids. Après tout, je n'avais jamais frappé personne, et je ne comptais pas commencer aujourd'hui... mais voir ces pauvres personnes jouer des poings me faisait mal pour eux. J'avais envie de leur dire que la violence n'apportait rien. Mais ce n'était pas le bon moment.

Tu ne diras rien, me récriai-je intérieurement. Je ne tenais pas à passer pour la petite pacifiste de service, surtout entourée d'hommes plus bruts les uns que les autres.

Je ne pouvais pas me lever et crier « peace and love, chers frères ! » en plein milieu de l'apocalypse. D'un, ils ne m'écouteraient pas, et de deux, je me ferai probablement humiliée sous leurs rires lorsqu'ils prendraient conscience de ce que j'avais osé leur servir. Et j'étais atrocement timide. Jamais je n'oserai crier quelque chose, et encore moins ma façon de penser.

Sous un juron fleuri de la part de Drink, je me hissai de nouveau sur les genoux. Il fallait que je voie de mes propres yeux s'il y avait une chance pour que la situation se calme. Si seulement elle...

Deux puissantes détonations retentirent. 

The Devil's Tears MC - Nix (sous contrat d'édition)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant