Chapitre 5 - Ignorance

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Notre chute fut lente, mais merveilleuse. En une fraction de seconde, j’aperçus les hommes habillés en noir qui se tenaient dans chacun des appartements de l’édifice. Tous les résidents étaient ligotés et évanouis. Je ne pus m’empêcher de me frustrer.

Pendant que nous tombions, une sensation de légèreté s’empara de moi. Je me dis que je ne vivrai pas une telle sensation avant longtemps.

Nous atterrîmes sur le camion du vendeur de sapins. Je m’étais sûrement cassé le bras, et à voir le visage éraflé de mon cousin, je déduisis qu’il n’avait rien. Peu importe, ce n’était pas ce à quoi je pensais pour l’instant. Nous avions atterri sans bobo grave, sur un tas de buissons et de sapins verts, certes, mais où était mon frère?

― Edward, ça va?

Il se frotta l’œil gauche

― J’ai mal...

Je m’approchai de lui et le prit sous mon bras droit, celui qui était le moins douloureux. Il me faisait de plus en plus penser à un petit enfant, ce qui m’attendrit.

― C’est fini maintenant, il ne va plus rien nous arriver. On est en sécurité pour de vrai.

― Parce qu’on l’était pour de faux? Il m’observa de ses grands yeux noisettes, cernés par la fatigue. Je savais bien qu’il ne dormait pas, ces temps-ci.

Le vieux camion bleu démarra, et Eddie s’accrocha plus fort à moi. Je me demandai un instant comment un vieil homme comme le vendeur pouvait posséder une machine aussi vieille mais coûteuse qu’une voiture. Je jetai un regard sur le rétroviseur. Joshua conduisait, et il me fit un clin d’œil. Je ne sais pas si Edward l’avait vu aussi, mais il commença à pleurer silencieusement, pendant que je nous cachais entre les épines douces des grands sapins abattus qui nous recouvraient maintenant comme de grandes mains protectrices.

                                                                             *  *  *

― Maintenant, je crois qu’on lui doit des explications, à notre petit bonhomme.

Joshua, Edward et Lisbeth étaient assis côtes à côtes sur les bancs en cuir usé du véhicule. Lisbeth était accotée à la  portière de droite, tandis que son frère avait les mains sur le volant. Edward était plus détendu, malgré le fait qu’il soit blessé à l’œil et que l’on vient de lui faire une tentative d’assassinat.

― Ce n’est pas le moment, Jo. Il est trop sonné, dit-elle en ajustant le foulard qu’elle avait mis autour de son cou pour soutenir son bras meurtri. Nous devons quitter la ville en vitesse et aller retrouver le Panel.

Josh soupira et donna une tape dans le dos à son cousin.

― À ton âge, j’avais déjà mon propre .22, tu sais...

― Josh! Lisbeth lui jeta un regard noir.

Edward n’arrivait pas à parler. L’équipe du labo de Sabine O’Malley, celle qui envoie les voyageurs des époques, n’avait jamais utilisé la violence durant ses missions. Elle ne possédait d’armes que celles qui étaient utilisées pour assurer la sécurité au laboratoire, et ce n’étaient que de simples matraques électriques. Alors pourquoi, pourquoi voulait-on le tuer? Pourquoi avait-on envoyé ces tueurs sanguinaires chez ses cousins? Pourquoi Joshua et Lisbeth étaient, en exagérant à peine, armés jusqu’aux dents? Pourquoi devaient-ils quitter la ville aussi subitement?

Il ne comprenait plus rien, et préférait ne rien savoir pour l’instant.

― Il est seulement trois heures de l’aprèm, on a amplement le temps de se rendre jusqu’à Inter.  

― S’il n’y a pas de trafic...,dit Eddie.

― Ah! Vous avez enfin daigné prononcer un mot, monseigneur! Joshua et Lisbeth rirent en chœur, ce qui redonna un peu de couleur à leurs joues blêmes. Même Edward esquissa un demi-sourire qui rassura ses deux cousins.

― Ah, oui, au fait...J’ai une petite surprise pour vous...

Ses deux amis le regardèrent, intéressés.

― Regarde sous le siège, Lili.

Sa sœur se pencha, puis lança un cri de joie. Elle tira, de sa main valide, une cage en plastique beige d’où jaillissaient des miaulements de bonheur.

― Goro! S’écria-t-elle. Je pensais qu’on t’avait perdu! Mon chéri, mon amour de petit chat!

Joshua ricana, visiblement fier de son accomplissement.

― Quand j’ai tiré sur le premier homme, j’ai juste eu le temps de descendre quand je l’ai vu sur l’asphalte, près du camion. On aurait presque dit qu’il m’attendait.

Lisbeth étira son cou au dessus de la tête penchée de Edward pour donner un baiser sonore sur la joue de son frère.

― Mais la cage, d’où elle sort?

― Le vendeur de sapins a toujours eu un chat gris et moche, alors ça lui appartient sûrement, lança Lisbeth.

Il roulaient depuis une vingtaine de minutes sur le boulevard, puis Josh pris la bretelle à droite. Ils continuèrent ainsi pendant une longue demi-heure, jusqu’à ce que l’horloge indique seize heures moins dix. Lisbeth avait trouvé deux gros sacs d’épicerie sous les sièges, juste derrière la cage où somnolait Goro. Elle offrit un sachet de biscuits à Ed et une bouteille de boisson énergisante à son frère, qui devra sûrement conduire sans arrêt durant trois heures complètes. Elle prit une pomme.

― Écoute, Lisbeth, que tu le veuilles ou non, il va falloir informer Edward le plus tôt possible de ce qui lui arrive, dit Josh d’un air grave. Ça le concerne, et il a le droit de...non : il doit absolument savoir.

― Joshua, ça suffit!

― Non, Lili, je veux savoir. Je vais mieux, et je ne suis plus aussi sonné que je peux le laisser paraître. S’il y a quelque chose qui pourrait me rendre plus malade que ce qui est arrivé, c’est bien de rester dans l’ignorance, alors s’il te plaît, laisse-le parler...

Edward la regarda avec de grands yeux humides et implorants, le genre de regard auquel une fille, quel que soit son âge, ne peut résister.

― D’accord. Mais il y a deux conditions.

― Qui sont?

Uno, c’est moi qui t’explique la situation. Deuxio, ne chiale pas si ça t’effraie trop. 

Edward hésita, puis hocha la tête. Sa cousine soupira, puis reprit.

― Écoute bien, alors...

SLEEP TALKERS (Version Française)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant