Lui, mon encre Tome 2

Chapitre 1: Ayden

Mes phalanges posées sur mes lèvres et le front collé contre la vitre du bus, je regarde le paysage défilé à toute vitesse. L'hiver commence doucement à se faire sentir ces temps-ci. Quelques rayons de soleil réussissent à traverser encore les nuages gris dans le ciel, réchauffant la surface de mon corps, mais n'atteignent malheureusement pas mon cœur. Je suis gelé de l'intérieur, seul l'oxygène me maintient en vie. Plus rien ne me touche et tout ce qui m'entoure est vide de sens. Je me suis enfermé dans un mutisme effrayant depuis début novembre. Je n'écoute plus ce que les uns ou les autres me disent, je ne les entends pas.

Les interviews, les émissions de radio et de télévision, les quelques scènes européennes où nous nous produisons, sont de plus en plus difficiles à gérer pour moi, surtout lorsque vient le tour de chanter cette chanson, SA chanson. C'est comme si j'étais vivant mais mort à la fois quand les paroles sortent de ma gorge nouée. J'ai demandé à Tyler de supprimer ce texte, il a refusé ma demande. « Celle-ci fait partie des trois chansons de promo de l'album, donc impossible de ne pas la faire écouter au public, sur ordre du producteur », me rabâche-t-il sans cesse. Elle me rappelle constamment mon amour pour elle et je ne peux plus la balancer au monde entier, sans l'avoir à mes côtés, dans ma vie tout simplement. Je l'avais composé peu de temps après m'être rendu compte que j'étais fou d'elle. Je voulais que la planète entière sache à quel point je m'étais attaché à cette brune au caractère de feu, qui n'hésite pas à me remettre à ma place sans la moindre once de peur. Je voulais surtout lui chanter, lui faire sentir, qu'elle est la personne la plus importante à mes yeux, la seule dans mon esprit, dans mon cœur. C'est une torture sans nom, aujourd'hui.

Nous roulons durant des heures avec ce bus qui nous sert d'habitation, depuis maintenant un mois et demi. Il a été aménagé spécialement pour nous cinq avec des couchettes, franchement pas du tout confortable, puis un espace détente où nous pouvons jouer à toute sorte de jeux : vidéos, poker, société, carte et j'en passe, avec un bar rempli de bouteilles d'alcool, de boissons gazeuses et d'eau plate.

Lorsque je suis dans mon espace personnel, c'est-à-dire les trois quarts du temps dans mon lit de fortune, je gratte les cordes de ma guitare et je compose. Elle est la seule à me tenir compagnie et je me défoule autant que je veux sur elle, alternant musique dynamiquement violente et parfois douce.

Mais à cet instant précis, j'écoute une composition d'Hayley qu'elle m'avait envoyé sur un site spécial pour les professionnels, quelques heures après que tout ne dérape. Elle a sûrement dû l'enregistrer en studio car la qualité de la bande-son est excellente. Sa chanson tourne en boucle dans mes oreilles à l'aide de mes écouteurs, m'acérant les tripes. Elle me fait mal mais je la subie volontairement chaque jour, pour me rappeler que je l'ai perdu définitivement, cette fois. Sa voix magnifique me transporte malgré la peine qui m'envahit à chacune de ses paroles. Je grave dans ma mémoire, dans mon cœur, chaque note douloureuse qui en sort. Les larmes coulent silencieusement sur mon visage. Je les essuie.

Quand nous nous sommes rencontrés pour la première fois

Je n'aurais jamais pensé tomber pour toi

Je n'aurais jamais pensé me retrouver

En étant à tes côtés

Mais tu es parti

Mon monde continue de tourner

Mais je n'avance pas sans nous unis

Pourquoi m'as-tu laissé ?

J'aurais aimé te dire au revoir

Si j'avais su que c'était la dernière fois

Je ne veux pas tomber dans ce trou noir