6 - Traque

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Des cris de protestation résonnaient tout autour de moi. Bousculée par la foule qui envahissait le hall du palais seigneurial, je m'efforçai de garder mon visage dissimulé sous un large capuchon. Gamaha, mon amie au tempérament royal, m'accompagnait. Si elle cachait également son identité, c'était moins par peur de se faire assassiner que de se faire reconnaître par des clients réguliers.


« Je déteste la foule, pesta-t-elle. Et puis je n'arrive pas à comprendre que Père nous envoie toutes les deux ici après l'autre jour ! Il y a un taré qui cherche à t'assassiner !

- Moins fort ! lui intimai-je, surveillant les réactions de nos voisins. On est venues ici pour récupérer un exemplaire des nouvelles lois, pas pour attirer l'attention sur nous ! »


Gamaha croisa les bras,boudeuse. Elle était toujours vexée lorsque l'on la contrariait et grommelait dans sa barbe comme une enfant. Un mouvement de foule,comme une vague, nous incita à avancer vers l'estrade où étaient distribuées des centaines et des centaines de feuilles. La récente installation d'une imprimerie à l'extérieur d'Angirho avait permit aux Seigneurs de faire circuler leurs décisions parmi les habitants, une technique que le Seigneur Alikar ne se retenait pas d'employer.



La vague humaine nous avait portées tout près de l'estrade. Trois hommes et une femme distribuaient à la hâte les nouvelles lois, quasiment submergés par les bras tendus des citoyens. Un nouveau mouvement général me plaqua contre la construction, écrasant douloureusement mon estomac. J'eus un haut-le-cœur que je maîtrisai non sans mal. Je relevai la tête, inspirant profondément, et un regard autoritaire accrocha le mien.

Le Seigneur Alikar se tenait à un balconnet donnant sur le vaste hall et inspectait la foule. Un frisson me parcourut et je rabattis ma capuche sur mon visage. Gamaha, agitant son carré long de mèches caramel, leva la tête vers le balcon. Paniquée, j'abaissai son crâne afin qu'il ne la reconnaisse pas. J'ignorais s'il l'avait déjà vue mais, au vu de sa réputation à Angirho, Gamaha avait peu de chances de lui avoir échappé.


« Mais ça ne va pas la tête ! se plaignit-elle, surprise.

- Le Seigneur Alikar est là-haut, lui expliquai-je d'une petite voix.

- Il nous a reconnues ? me demanda-t-elle sans attendre ma réponse. Tu es foutue ! Quelle mouche a piqué Père pour qu'il t'envoie ici avec moi ?

- Je ne suis pas sûres'il nous ait vues : il y a tellement de monde... »


J'osai jeter un coup d'œil en haut du mur ; comme un oiseau de proie, son regard était solidement ancré au mien. Pauvre lièvre sous les serres menaçantes de l'aigle, je restai figée. Il m'avait bel et bien vue.Les images de l'attaque repassèrent en boucle dans mon esprit. Un éclat métallique, celui d'une flèche, qui fondait sur moi et les pupilles étroites d'un étranger me transperçant comme son projectile aurait dû le faire. Le Seigneur Alikar était forcément derrière tout ça, sauf que je n'avais aucune preuve.

Une main se posa sur mon bras, pressante. Je sursautai. Gamaha avait compris que la situation n'était pas à notre avantage. Par chance, elle avait récupéré les nouvelles lois ; nous pouvions nous fondre dans la masse, échappant ainsi à l'écrasante attention du nouveau Seigneur. Nous bousculâmes sans scrupules celles et ceux qui avaient le malheur de nous bloquer la route. C'est le cœur battant que je réussis à atteindre la sortie, hantée par une peur irrépressible.

ExplosiveWhere stories live. Discover now