8 - Protéger

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Dans un regain de force, j'enjambai le corps tordu de douleur du Seigneur Alikar. En contrebas, dans la cour, se trouvaient deux individus aux tignasses châtain et noire. Un coup d'œil me suffit à les reconnaître.


« Em ! Milloh ! »


Em me fit de grands gestes avec les bras et Milloh arma ce qui semblait être un lance-pierre tout en surveillant l'entièreté de la cour du mieux qu'il le pouvait.


« Saute ! m'ordonna Em. Je vais te rattraper ! »


Les yeux emplis de larmes de soulagement, je n'hésitai pas une seconde. J'aurais préféré me rompre le cou plutôt que de rester une seconde de plus dans cette chambre. J'enjambai maladroitement la fenêtre, pris mon courage à deux mains et sautai. Mon estomac se tordit avec la vitesse et l'adrénaline banda mes muscles. L'atterrissage dans les bras d'Em fut rude ; nous roulâmes sur quelques mètres avec l'élan de la chute. Quelques pierres avaient meurtri nos corps, créant des hématomes bleuissant à la surface de nos peaux.


« Partons, chuchota Milloh, on ne nous a pas encore repérés.

- Bonne idée, grimaça Em en se relevant. »


Nous courûmes ventre à terre à travers les massifs de fleurs et les nombreux arbres du terrain. Heureusement, le bruit de la vitre semblait avoir ameuté tous les gardes dans la chambre : nous les prîmes de vitesse et nous échappâmes avant qu'ils ne viennent inspecter les jardins.

Arrivés devant l'immense portail ouvert de la propriété seigneuriale, Em m'arrêta d'un geste. Milloh, son lance-pierre toujours armé d'une lourde roche, se plaça devant, prêt à tirer. Je me demandais parfois pourquoi un garçon aussi traumatisé par le contact physique et humain était toujours plus prompt au combat plutôt qu'à la fuite.

En face de nous se tenait un homme blond platine, une dague à la main et le regard sans émotion qui vous transperce l'âme ; l'étranger. Il était le seul à garder l'entrée du domaine du Seigneur Alikar. Je frémis. Allait-il changer de camp comme il l'avait déjà fait en négociant avec son patron ? La réponse ne se fit pas attendre.


« Je ne vous ai pas vus, dit-il simplement en se décalant sur le côté.

- Merci... répondis-je, sincèrement reconnaissante. »


Nous passâmes à côté de lui et je me souvins d'une de ses confidences. Il n'aimait pas tuer, être assassin ne lui plaisait pas, ce pourquoi il avait tout fait pour éviter de devoir me tuer.


« Tu veux venir avec nous ? lui proposai-je en m'arrêtant brusquement. Tu pourrais fuir cette vie de massacres...

- Un jour, peut-être... ricana-t-il. »


Pour la première fois,je le vis sourire. La pointe de rancœur qui subsistait dans mon cœur, pour la flèche tirée et pour son idée de m'offrir au Seigneur Alikar, s'envola un instant. Il détourna les talons et partit au loin, m'arrachant à ma torpeur. Je n'avais pas le temps de penser à mon pardon, que je le lui accorde ou non. Em saisit mon poignet et me tira à sa suite. Milloh, qui avait pris de l'avance, était déjà loin devant. Je pressai le pas ; les voix de l'étranger et de quelques gardes résonnaient déjà au portail.

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