Chapitre 1

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Je me réveillai avec l'impression d'être passé sous les pattes d'un troupeau de bœufs enragés. Ma tête me faisait effroyablement souffrir, comme si des milliers d'abeilles avaient réussi à se loger dans mon cerveau et piquaient chaque parcelle de celui-ci. Leur bourdonnement était insupportable.

Evidemment, je n'avais aucun souvenir de la vieille. Sans ouvrir les yeux, je me promis de ne plus jamais approcher une seule goutte d'alcool. Pas un seul verre de bière, pas une gorgée de liqueur, pas un baba au rhum. Je tentais de prendre une grande inspiration. Même respirer était devenu douloureux... Attendez un moment, une gueule de bois ça n'a jamais donné l'impression d'avoir une côte cassée !

J'ouvris les yeux sur une énorme nez rougeot, plus gros que mon poing. Avant même que je prenne conscience de ce qui entourait ce nez, un crochet me renvoyait dans les bras de Morphée.

Je m'éveillais de nouveau quelques temps plus tard. Le nez était toujours là, comme une pomme de terre rouge posée au milieu d'un visage joufflu et sale, qui ressemblait à s'y méprendre à celui d'un sanglier. Sanglier visiblement énervé. Très énervé.

- Il se réveille.

Son ton ne me plaisait pas. Le nez, le phacochère et moi nous trouvions dans une toute petite pièce sombre. Les murs étaient de pierre grise, recouverte de toiles d'araignées et de poussière. Dans le fond, un escalier menait à l'étage, fermé par une porte en bois.

Derrière le porc, un homme apparut.

- Bien, alors il va pouvoir se rappeler où il a mis mon argent.

Un éclair me remit en mémoire les évènements de la veille. En effet, j'avais bu. Un peu trop. Beaucoup trop. Mais ce n'était pas mon foie qui avait le plus souffert. C'était mon porte-monnaie.

-Ecoute Jim, je... je pourrais te rembourser la semaine prochaine, bafouillai-je. Dans une semaine, je te promets que toutes mes dettes seront réglées.

-T'as la mémoire courte mon p'tit. Ça fait un mois que tu me sors les mêmes conneries. Alors maintenant, soit tu me paies tout de suite, soit je me rembourse tout seul.

Il tâta doucement la peau de mon avant-bras.

- Je suis sûr qu'on peut en faire une paire de chaussures confortables, poursuivit-il.

- Jim, je n'ai pas de quoi te payer ici, mais je t'assure...

Je tremblais sur ma chaise, bataillant contre mes liens. Je savais de quoi ces gars-là étaient capables. Je ne voulais pas finir ma vie comme ça, avec pour dernière vision cette brique rouge sur la face de sanglier. Sans aucun courage, sans aucune fierté et sans aucun honneur, je sentis mes yeux se mettre à pleurer alors que j'implorais qu'on me laisse vivre encore une semaine.

- Donne-moi le couteau.

Jim récupéra l'instrument aux mains de son complice. Il s'approchait de moi lorsque la porte s'ouvrit dans un bruit d'épouvante. Dix hommes entrèrent. Dans le brouhaha de leurs cris et du claquement de leurs bottes, je reconnu immédiatement leur uniforme bleu marine. Des policiers. Le ciel soit loué, j'étais sauvé ! La moitié des hommes s'occupèrent de Jim et de son comparse. Ils furent rapidement maîtrisés et ligotés. Je me mis à pleurer de soulagement. Je n'allais pas mourir ! J'étais sauvé ! Leur chef se rapprocha de moi d'un air curieux.

- John Marlot ? demanda-t-il.

Je hochais la tête.

- Vous êtes arrêté pour dettes.

Pas si sauvé que ça, au final.

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