Chapitre 20

7 3 8
                                    


Le médecin nous avait fait appeler. L'état de Levinson était à peu près stabilisé. Thompson avait demandé chaque jour à le voir. Il avait attendu une semaine, en se morfondant un peu plus chaque jour. On nous demanda de ne pas le toucher et de ne pas rester trop près. Lorsque nous arrivâmes dans la chambre, il semblait le plus calme du monde. Il chantonnait même.

Are you going to Scarborough Fair?
Parsley, sage, rosemary and thyme,
Remember me to one who lives there,
She once was a true love of mine.

Il sourit en nous voyant, interrompant sa voix faible et monocorde. Le silence se fit. Je me mis dans un coin de la pièce, sans vouloir déranger ni les deux hommes ni le démon qui donnait de la fièvre au peintre. Il se regardèrent longtemps sans parler. Levinson rompit le silence le premier.

- Qu'est ce que tu fais en ce moment, Marlot ?

J'étais étonné qu'il m'adresse la parole en premier.

- Je cultive. J'ai beaucoup de travail avec les trois parcelles.

Il eut un rire étranglé.

- Tu es bien sage Marlot... Bien sage...

Il ne me regardait pas en face. Il regardait sa main qui lissait sa couverture. On aurait dit que c'était au drap qu'il s'adressait.

- Il faut ce qu'il faut pour survivre.

De nouveau, un hoquet sarcastique souleva sa poitrine.

- Survivre... Tu n'es pas drôle Marlot, tu gâches tout l'amusement du voyage. Tu triches. Il faut partir les yeux bandés. Sans aide et sans escorte. Voir jusqu'où on peut aller. C'est le hasard qui décide pour nous. Regarde-moi, j'aurais pu aller dans un autre coin de la forêt et ne pas manger ces baies... Tout le monde ici croit que je vais mourir. Rapidement.

- Levin... tenta Thompson

Le peintre leva une main pour l'encourager à se taire. Il avait la lenteur d'un vieillard, alors qu'il était à peine plus âgé que moi.

- Chut, chut, chut, chut... Moi, je ne sais pas si je vais mourir. Tant que je n'en ai pas de certitude, je me dis qu'il faut profiter de ce qu'on a. Ici, je suis nourri, et j'ai de quoi peindre. Mes tableaux n'ont jamais avancé aussi lentement... Je ne me plains pas. Je pourrais avoir à passer la journée à remuer la terre sans jamais réfléchir à autre chose. Quand je peins, je pense à la réalité de ce qui apparaît sur la toile et à celle de ce qui est invisible.

Il se remit à chantonner.

Tell her to make me a cambric shirt,
Parsley, sage, rosemary and thyme,
Without no seam nor needle work,
Then she'll be a true love of mine.

Je n'avais jamais aimé cette chanson. Ses paroles étaient pour moi dénuées de sens. Faire une chemise sans couture et sans aiguille ? Cela ne se pouvait que dans de stupides couplets traditionnels.

Je laissais Thompson et Levinson seuls, pour aller retrouver ma parcelle. Je regardais les plans qui poussaient doucement. Leur avancée était imperceptible. Tout comme l'avait été celle de la maldie.

Ce soir-là, je n'avais pas envie de prendre ma bêche pour remuer le terrain. Cliff vint me voir. Il me traita d'imbécile puis repartit.

Un autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant