Chapitre 6

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(promis, un jour je relirai)

Au bout d'une semaine, nous avions installé une dizaine de cahutes en bois. Appeler ça des maisons aurait sans doute été un peu prétentieux, mais elles tenaient debout et ne laissaient pas entrer les animaux, c'était suffisant pour la plupart d'entre nous. Il n'y avait pas un seul menuisier parmi nous. Quelques artisans se débrouillaient mieux que les autres. Beaucoup mieux que moi en tout cas. Je n'avais jamais appris à me servir de mes dix doigts et j'en ressentais l'amer regret. Si seulement j'avais appris un métier manuel... Au lieu de ça, j'avais décidé de devenir écrivain...

Comprenons-nous bien : j'étais écrivain public. Je n'avais pas décidé de devenir le prochain Chrétien de Troyes... Ou plutôt, je ne l'avais pas pu. Au lieu de cela, quand une personne qui ne savait pas écrire avait besoin d'envoyer une lettre, elle venait me voir. J'avais eu la chance d'apprendre le sens des mots et leur forme. Ma clientèle était des plus variées. J'avais rencontré maints et maints pauvres hères illettrés qui avaient besoin d'une lettre officielle. Il m'était également arrivé de travailler avec un duc en manque d'inspiration pour séduire la duchesse de ses rêves.

Et tout cela était d'une inutilité désespérante lorsque l'on débarquait sur une île déserte à peupler. Il n'y avait pas l'ombre d'un bureau de poste ou d'une demoiselle à séduire sur cette terre. Et je me voyais mal écrire une lettre d'amour à une mouette.

- Marlot, tu arrêtes de rêvasser et tu te remets au boulot.

Blacke est un maton plutôt sympathique. Il ne nous frapperait pas à tout bout de champs comme d'autres peuvent le faire. Je lui obéissais quand même. J'avais peu de résistance aux ordres. Ça ne m'avait jamais apporté que des ennuis. Par exemple, ma mère m'avait dit un jour que je ne devais pas entrer dans une taverne. Depuis ce jour, je n'en suis plus sorti qu'à grands coups de pieds dans le derrière ! Et vous savez comment l'histoire se poursuit...

Je me remis au travail. Mais je ne pouvais pas m'empêcher de voir le visage de ma mère qui m'avait interdit cette taverne... Oh bon sang, que n'aurais-je donné ce jour-là pour revenir en arrière et l'écouter ! J'aurais voulu retrouver le petit John et le secouer comme un prunier jusqu'à ce que son cerveau se remette en place ! Lui tirer les oreilles et le gifler une bonne fois pour toute... Quel stupide, stupide enfant qui n'a jamais grandi !

- Ça va pas ?

Blacke revint vers moi. Je m'étais assis, j'avais la tête dans mes bras.

- Je suis un raté, un imbécile, un ivrogne et un hors la loi.

- Marlot, il n'y a ni ta mère ni le roi pour te juger ou te punir. Tous ceux qui sont ici sont des ratés, des taulards, des voyous... Recommence ta vie. Tu peux devenir qui tu veux sur cette terre.

Un de ses collègue l'appela au loin.

- Va voir Bertrand, c'est celui qui se débrouille le mieux pour les travaux. Il saura t'aider.

Il s'en alla, me laissant seul avec ma conscience rassérénée. Je me levai, revigoré, pour partir voir ce mangeur de grenouilles de Bertrand.

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