Chapitre 11

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Au bout d'une semaine, les deux cabanes étaient bien avancées. Les autres me prenaient pour un fainéant, puisque je dormais souvent en cours d'après-midi. Je passais toutes mes nuits à aider Cliff. Malgré ses béquilles, il faisait une énorme partie du boulot. Il réussissait à couper et à visser. Je servais uniquement à déplacer les planches trop longues et à aller chercher du bois. Je n'avais pas l'impression d'être son esclave, mais plutôt son élève, en stage d'observation. Cependant, lorsque le matin se levait, nous partions tous les deux vers ma parcelle. Le sommeil se faisait toujours sentir à cet instant, cependant je devais avancer. Je ne voulais pas être la risée du quartier, et je ne voulais pas décevoir mon maître.

Les matinées étaient plus actives que les nuits : Cliff s'asseyait sur un rondin de bois et me crachait des ordres à la figure. J'exécutais sans me poser de questions. Je ne me vexais pas de ses colères ou de ses insultes. Je commençais à m'habituer au personnage, et je savais qu'il ne me détestait pas plus qu'un autre. Cliff avait déjà acquis sa réputation de misanthrope. Tout le monde, y compris Thompson et Levinson, se méfiait de lui. Le peintre et l'épicier tenaient quand même à rester en bons termes avec le fermier, dont la force était toujours impressionnante.

Durant la première semaine de construction, je vis très peu mes deux amis. J'étais bien trop pris par ma maison. De plus, j'allais me coucher à deux heures de l'après-midi pour ne me réveiller qu'à sept heures du soir. Je mangeais rapidement pour me remettre au travail. Je portais en même temps une ration à Cliff. Le maire nous avait promis de nous nourrir jusqu'aux premières récoltes. Les maisons de Levinson et de Thompson avançaient également à un bon rythme. Ils avaient tout leur temps pour y travailler. Thompson avait bien appris avec Bertrand et il se débrouillait plutôt bien. Il ne savait cependant pas comment s'y prendre pour faire fonctionner une ferme. Il était convaincu qu'il pourrait y échapper, en tenant un petit magasin. Je ne disais rien, mais cela me semblait difficile. On n'avait rien à vendre. Chacun récolterait ce dont il aura besoin. Cliff le traitait d'imbécile. Qu'importe, il construisait sa cabane comme un petit magasin avec un local de stockage attenant. Levinson avait plus de difficultés à construire, car il passait beaucoup de temps à essayer de créer des pigments à partir des végétaux locaux. L'hiver et la faim de l'effrayaient pas. Y avait-il seulement un hiver sur ce nouveau continent ? Nous étions au beau milieu du mois de février et les températures n'étaient pas descendues plus bas que 15°C. Levinson s'en fichait. Il voulait trouver un moyen de représenter l'émerveillement qui était le sien face à ce paysage incroyable.

Le jour suivant, le huitième jour depuis notre déménagement, je pu dormir pour la première fois dans ma maison. J'avais posé à terre des couvertures pour me servir de matelas. Je m'y allongeais, regardant au travers de la toiture en devenir le ciel de cette terre australe. Je n'étais peut-être pas le meilleur bâtisseur, mais j'étais fier de moi. Pour la première fois de ma vie.

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