09. Freetown

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Chapitre 9 : Freetown











Les cris du riche se font facilement entendre, tandis que les gémissements du peuple sont étouffés par la misère.




Le camion fendait l'air, avalant les kilomètres sur la route cahoteuse. À son bord, une cargaison clandestine : des filles, une tonne de destins brisés, cachés sous des bâches, dans l'obscurité étouffante de l'arrière. Le conducteur, impassible, poursuivait sa route, son visage dénué de tout indice trahissant le secret qu'il transportait.

Passant les barrages de police sans encombre, franchissant la frontière avec une assurance feinte, le camion s'enfonçait dans les terres de la Sierra Leone, où les cicatrices de la guerre étaient encore vives. Les traces des conflits passés étaient partout, dans les regards méfiants des habitants, dans les bâtiments délabrés, dans les rues désertes où résonnaient pourtant les pas des survivants.

Conakry avait laissé place à une nouvelle réalité, tout aussi sombre. La misère et la famine étaient des compagnons constants, plus oppressants que jamais.

Des femmes, leur dignité déchue, se vendaient le long des routes, leurs regards scrutant chaque voiture avec avidité, à la recherche de clients pour soulager leur misère, dans un échange de désespoir contre quelques pièces.







Safiatou






Mon souffle se mêlait au rythme monotone du camion, chaque bouffée d'air résonnant comme un écho de ma détresse. Chaque bruit dans ce sinistre habitacle me rappelait la cruelle réalité que je refusais d'accepter.

Le 31 décembre marquait le début d'un cauchemar sans fin, le debut à un avenir incertain et tumultueux.

Je me débattais contre cette vérité qui me consumait, refusant d'admettre l'impensable.

J'avais toujours condamné les hommes qui s'appropriaient le corps des femmes, qui brisaient leur dignité, leur volonté. Et pourtant, ironie cruelle du destin, je me retrouvais prisonnière de mon propre sang, le fruit d'un viol, le symbole de tout ce que je détestais.

Quelques jours auparavant, ma mère et moi survivions dans l'ombre des tentes alignées le long des rues, notre abri fragile mesurant à peine trois mètres carrés. Nous étions les parias de la société, reléguées à l'obscurité des bas-fonds, oubliées de tous sauf de notre propre misère. Et maintenant, je me trouvais captive dans ce camion lugubre, ma destinée entre les mains de l'inconnu.

Le poids de ma propre existence me submergeait, les questions tournoyaient dans mon esprit .

Méritais-je un tel sort ?

Avais-je commis des fautes si graves pour en arriver là, pour être réduite à cette condition de rejeton maudit ?

On dit que la naissance d'un enfant est le plus grand bonheur qu'une mère puisse connaître. Mais pour moi, c'était le fardeau d'une existence condamnée, le poids insupportable d'une destinée écrite dans le sang et les larmes.

Les interrogations tournaient en boucle dans mon esprit alors que le camion continuait sa course incessante à travers l'obscurité de la nuit.

Les larmes d'une mendiante Où les histoires vivent. Découvrez maintenant