Chapitre 4 - Espoirs (Partie 2/2)

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Un voile de haine embrume son regard joyeux. Je hausse les sourcils, surprise, et fixe mes yeux dans les siens. Il se mord la lèvre inférieure, non pas comme s'il était épris d'un soudain désir ardent, mais comme s'il était enragé intérieurement. Je fais mine basse, intimidée, et n'osant pas lui demander de développer pour connaître cette mystérieuse histoire qui semble le ronger.

— J'aimais une femme..., raconte-t-il. De tout mon cœur. A la base, elle n'avait pas du tout confiance en elle, en ses atouts, en sa beauté. Avec le temps, je lui ai fait trouver cette confiance au travers de mes mots, ma tendresse, mon amour. Au fur et à mesure, elle se trouvait un certain plaisir à plaire aux autres, surtout aux hommes, jusqu'au jour où j'ai découvert qu'elle avait couché avec d'autres gars que moi. Je m'en étais douté, pourtant, à cause de ses nombreuses absences, mais naïf comme j'étais, je me disais qu'elle avait peut-être trop de travail.

Un soupir saccadé s'échappe de sa bouche. Compatissant quant à la souffrance endurée par Kerry, je frotte affectueusement son bras par-dessus le tissu de son trench. Il me regarde et m'offre un doux sourire qui détonne de la rage qui flamboie encore un peu dans ses yeux cérulés.

— Au moins... on se comprend, dis-je en riant discrètement afin d'apporter un peu d'humour.

— Oui..., c'est vrai que toi aussi tu as été trompée, réplique-t-il avec regret.

Je hausse les épaules avec une certaine nonchalance et commente :

— Ce n'est pas grave. Je me dis que je méritais mieux que lui. S'il est allé voir ailleurs, même si ce n'était que pour vider ses bourses, c'est qu'il ne m'aimait pas vraiment. L'amour, le vrai, sait franchir tous les obstacles, même les plus difficiles. Et si l'un ou l'autre ne sait même pas résister à la tentation de la chair, alors mieux vaut cesser la relation qui n'est que vaine.

— Quelle force..., constate-t-il accompagné d'un petit rire. Mais j'apprécie ta façon de penser. Et je suis bien d'accord avec toi.

Un large sourire plisse mes joues tandis que je le regarde dans les yeux. Un éclair de joie luit soudainement dans les siens : au moins son coup de blues passager n'a pas duré très longtemps. Et je suis drôlement heureuse qu'il pense la même chose que moi sur ce point. Je doute qu'il essaie de me charmer : il aurait sorti des mots du genre « j'espérais un jour rencontrer une fille qui pense comme toi ». A moins que ce soit trop direct ? très certainement. Je ne connais pas encore assez Kerry pour savoir comment il aborde les autres, surtout les femmes qui lui plaisent. M'enfin, je vais me contenter de ce bref même point de vue entre lui et moi quant aux relations amoureuses.


***


Alors que la conversation reprenait un peu de son entrain, nous arrivons au pied de mon immeuble à moitié voilé par l'ombre de la nuit. Je le regarde un instant en soupirant et aperçois ma fenêtre, au troisième étage. Cette nuit sera difficile, je le sens : je vais être tiraillée entre le vide que provoque la solitude et les fantasmes que je me ferai sur Kerry. Il faut que je me calme : mieux vaut rester réaliste plutôt que de se plonger dans des espoirs vains. Kerry n'est peut-être pas intéressé par moi. Et pour éviter de davantage souffrir d'un attachement de plus en plus intense à son égard, mieux vaut que je me sépare vite de lui.

Je lui fais alors face en esquissant un très grand sourire aimable. Mais alors que j'étais déterminée à rejoindre au plus vite l'entrée de l'immeuble, je me pétrifie et sens mon cœur palpiter soudainement dans ma poitrine. Son regard azuré, embrumé par le manteau nocturne, rayonne d'une certaine intensité qui perce les voiles de la nuit. Son air est grave, sérieux. Ses lèvres sont légèrement pincées.

Je balbutie quelques mots incompréhensibles qui font trembler mes lèvres. Mes jambes sont subitement frêles. Mon corps grelote à cause d'une tension délicieuse qui l'échauffe considérablement.


Le temps se suspend un instant. Le calme complet résonne autour de nous. Je n'avais plus ressenti une telle intensité depuis très longtemps. Cette sensation à la fois de tomber dans un ravin et de flotter sur un petit nuage. D'avoir le souffle coupé et le cœur qui tente de s'échapper de ma poitrine. La gorge nouée et les mains moites. L'impression que tout s'arrête pour s'envoler vers l'étrange paradis....

Serais-je tombée amoureuse de Kerry ? non..., non, je refuse d'y croire. C'est impossible : je le connais à peine. Et je ne crois pas non plus au coup de foudre : pour moi ce n'est qu'une fable pour faire rêver les plus avides d'amour.

Un soupir saccadé s'échappe de mon nez et déchire le calme entre nous. Je joins mes mains devant moi avant de croiser les bras et de crisper les épaules. Un large sourire écarte soudainement les lèvres de Kerry et dévoile ses dents parfaitement blanches qui flamboieraient presque malgré l'obscurité régnante.


Il s'approche et se penche ensuite vers moi puis effleure ma joue d'un délicat baiser. Je me fige, les yeux écarquillés, le cœur battant à tout rompre dans ma poitrine, et l'observe d'un air ébahi. Un petit rire mielleux s'étouffe dans sa bouche avant qu'il me demande d'une voix douce :

— On se dit à plus tard ?

— O-oui, bredouillé-je.

— Tu as mon numéro, n'hésite pas à m'écrire si l'envie te vient, d'accord ?

Je hoche la tête en guise de réponse. Je ne sais pas quoi dire de plus : je suis totalement tétanisée à cause du baiser qu'il m'a offert. Celui-ci était totalement innocent et délicat, mais cela suffit pour me rendre toute fiévreuse. Je me contente alors de lui offrir un sourire un peu maladroit qui lui fait décrocher un petit rire amusé.

— Allez..., va te reposer, je te sens fatiguée.

J'aimerais lui dire de venir avec moi. Que je souhaiterais passer le reste de ma nuit à ses côtés. Pour mieux le connaître, savourer ses étreintes, ses lèvres, et peut-être plus..., mais au lieu de ça, je me contente d'acquiescer à nouveau. Un grand sourire élargit ses lèvres avant qu'il me souhaite une bonne nuit. Il effleure ensuite mon bras d'une délicate caresse, que je sens à peine à cause de mon manteau, puis fait volte-face et s'en va.

Je le regarde partir, figée sur place, le cœur battant la chamade dans ma poitrine. Sa silhouette ni trop imposante, ni trop effilée, se dissipe peu à peu dans les ténèbres de la nuit. Parfois, je la recroise lorsqu'il passe sous les lueurs des lampadaires, jusqu'au moment où il prend un virage vers la gauche et disparaît totalement.

Un heurt frappe soudainement mon cœur et noue ma gorge, comme si j'étais éprise de chagrin. Je reste un instant encore à rester sur place, comme si mes espoirs, mon amour naissant, étaient brisés. J'ignore pour quelle raison, par ailleurs : il n'a rien fait de mal. Il va vraiment falloir que je ralentisse sur l'alcool..., ça me rend totalement idiote. Et naïve.

Esclave de la ChapelleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant