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Arrivés là-bas, je n'avais pas eu le temps de me prendre un verre qu'il s'était déjà élancé au milieu de la foule pour chercher un corps à prendre. Je savais en lui demandant de venir que je n'allais pas passer la soirée avec lui, loin de là, alors je le laissais. Au moins j'étais tranquille pendant un moment. Le bar était mon ami, j'avais bu verre sur verre, mélangeant vodka, téquila, peut être du whisky et d'autres liqueurs dont je ne connaissais même pas le nom. J'étais complètement ailleurs dans un nuage éthylique bien trop agréable, me déconnectant de toute responsabilité, de tous les problèmes, de toute la négativité, me déconnectant de la vraie vie. C'est ça qui était génial dans ce genre d'endroit, c'était comme une dimension parallèle, une parenthèse à la réalité où les gens se laissaient aller à tous ce qu'ils n'osaient pas être dans le monde extérieur. Tous les péchés réunis, ivresse, défonce, sexe, dévergondage, les corps entremêlés, ces femmes, ces hommes qui ne se souciaient plus de ce qu'ils ingéraient, de ce qu'ils faisaient, de qui ils rencontraient, de qui ils attrapaient pour une nuit, à qui ils se donnaient jusqu'au petit matin. C'était ma dimension rêvée. Les pensées n'avaient plus aucun sens, plus aucun interêt dès qu'on passait les portes. C'était une centaine de mètres carrés d'une liberté moite et puante, une liberté inatteignable hors de ces murs sombres éclairés de flashs de couleurs.
Je comatais en fixant un point mort, perdu dans des pensées insensées quand une personne pris place dans mon champ de vision et me reconnecta sans prévenir à la dimension environnante. C'était une fille, elle n'avait rien d'incroyable, elle était la seule un tant soit peu habillée que j'avais vu depuis mon entrée ici. Elle n'avait pas l'air de s'amuser. Son sourire, il était carrément faux. Les gens autour d'elle n'avaient pas vraiment l'air de s'en rendre compte mais moi je l'avais vu. Elle était mignonne, pas vraiment jolie de là ou j'étais, mais elle avait l'air intéressante. Elle m'avait fixé quelques secondes, c'est pour ça que je l'avais remarquée, puis elle s'était retournée vers cet homme qui n'avait pas l'air plus sobre que moi, qui avait l'air de lui parler de tout et de n'importe quoi. On avait l'impression qu'il portait toute la misère du monde, même de loin et avec la musique à un volume indécent dans les oreilles j'arrivais à voir la plainte dans sa façon de parler à cette fille. Je restais à les fixer pendant un moment, jusqu'à ce que je voie la jeune fille lui poser une main sur l'épaule, lui refaisant un de ces sourires forcés, avant de se retourner pour aller vers la sortie de derrière. Allez savoir pourquoi, à cet instant même j'ai eu une envie urgente de cigarette. Je me levais en rassemblant toute me force, titubant au milieu de tous ces gens qui dansaient comme s'ils étaient possédés, les basses me tordant les tripes, me secouant à chacun de mes pas, l'alcool dans mon sang qui faisait tourner la pièce, cette sortie était définitivement la récompense à une épreuve bien plus qu'intense, et quand j'arrivais enfin devant elle un grand souffle m'échappa. Je l'ouvrais à la volée, oubliant que j'étais complètement bourré, me laissant finalement m'accrocher lamentablement à la poignée anti-panique pour ne pas m'écrouler au sol. J'avais l'air fin tiens. En me redressant, un autre souffle aux effluves d'alcool sorti de mes lèvres, profitant de l'air frais qui me laissait reprendre mes esprits, quand je sentis ce regard sur moi. Je tournais alors ma lourde tête vers la jeune fille qui était là, assise sur un banc improvisé à base de palettes de livraisons et de bidons de softs empilés. Quand elle vit que je la regardais elle détourna le regard de façon désintéressée, se décalant de quelques centimètres, me laissant comprendre que je pouvais aller m'assoir à ses côtés. Elle allumait sa cigarette pendant que je tâtonnais pour sortir une des miennes. Je réussi à en sortir une et la portait à mes lèvres quand je fut coupé par sa voix brisant le silence.
- Qu'est-ce que tu as à raconter? Je pointais un regard mi-choqué mi-interrogatif en sa direction, elle le remarqua en me regardant en coin. Elle eu un sourire différent de ceux qu'elle faisait à l'homme quelques minutes plus tôt, ricanant légèrement avant de reprendre en attrapant la cigarette entre ses doigts pour recracher un nuage de fumée. Tout le monde ici à quelque chose à raconter. Alors?
Son regard était à nouveau posé sur un point mort en face, mais je sentais qu'elle était concentrée sur moi. Malgré tout, sa question était carrément bizarre, voir déplacée.
- Pourquoi? T'es flic? Décidais-je de répondre, un peu d'ironie pouvait peut-être la faire taire qui sait.
- Je ne suis pas flic, loin de là d'ailleurs. Juste une serveuse d'ici qui a l'habitude d'écouter les âmes en peine qui s'échouent dans ce trou à rat, répliqua-t-elle avec un sourire insolent.
- Qui te dis que je suis une âme en peine, hein?
- Il n'y a que deux solutions pour atterrir ici, soit tu es un jeune qui cherche une boite miteuse et pas chère pour se retourner le cerveau et trouver quelqu'un pour passer la nuit, soit tu es quelqu'un d'un peu paumé qui cherche une boite miteuse et pas chère pour avoir de l'alcool qui noie tes soucis et de la musique qui fait taire tout ce qui peut se passer dans ta tête. Toi, tu es assis au bar avec les larmes aux yeux et l'air ailleurs depuis que t'es entré, alors je déduis facilement que tu fais partie de la deuxième option, sinon tu aurais déjà sauté sur une minette à moitié déshabillée. Elle lisait dans les pensées ou quoi? Ou elle était très observatrice. Elle avait l'air plus gentille que ce que j'avais pensé au premier abord en tout cas.
- Et la solution « aucun des deux » ne t'as pas effleuré l'esprit? C'était quand même marrant de la contredire après tout, je n'allais pas me priver.
- Je te l'ai dit, c'est impossible. On atterri pas dans ce bordel par hasard, elle devait avoir raison, quand je regardais bien on était pas dans les beaux quartiers: c'était carrément sale et mal famé.
- Et puis, pourquoi tu cherches à me faire parler? C'est vrai ça, qu'est-ce qu'elle cherchait?
- Je ne cherches pas forcément a te faire parler, si tu ne veux pas le faire ne le fais pas. Mais ça ne fait jamais de mal de vider son sac, elle se retourna vers moi et planta son regard dans le mien, et puis tu vois, je suis serveuse dans une vieille boîte miteuse ou tournent crimes, alcools et drogues, ou des filles font certainement des choses contre leurs volonté dans les toilettes, et où des gens tristes qui viennent ici vont mettre ou tenter de mettre fin à leurs jours dans ces mêmes toilettes. Je vis et travaille au milieu de toutes ces horreurs alors si je peux aider quelques une des personnes qui viennent ici parce qu'elles se sentent mal, j'aime autant.
Je souris à son discours. C'est vrai que vu comme ça, cet endroit prenait une toute autre dimension. Elle, elle y était tout le temps alors elle avait le temps de voir toutes les immondices qui s'y passaient, pas comme un con comme moi qui vient juste un soir pour se mettre cinq grammes dans le sang.
- Qu'est-ce que tu veux que je raconte? Lançais-je alors en souriant, fixant à nouveau le vide en face de moi.
- J'en sais rien, pourquoi t'es là, de quoi tu as besoin?
Besoin. Je détestais ce mot plus que tout au monde. J'étais énervé. Pourquoi tout le monde veut qu'on aie besoin de quelque chose? Mes poings et ma mâchoire se serraient tandis que mon corps entier se tendait.
- Je n'ai besoin de rien, dis-je agressivement, d'un ton cassant entre mes dents.
Alors, elle se retourna vers moi avec un sourire incroyable, toujours pas le même que celui qu'elle avait fait à cet homme. Elle souriait tellement sincèrement, plantant ses yeux rieurs dans les miens pendant que je la tuais du regard, toujours énervé. Elle gloussa un peu, et me lança:
- Si! Tu as besoin de quelque chose!
J'allais m'énerver sérieusement, j'étais prêt à exploser quand elle plongea sa main dans sa poche et en ressorti un briquet qu'elle brandit devant moi et alluma, toujours ce magnifique sourire aux lèvres. Sa bonne humeur instantanée me déconcentra, j'étais totalement déstabilisé devant ce briquet et ce visage lumineux. Pourquoi même avait-elle sorti un briquet? Et c'est totalement déboussolé que je me rendais compte: la cigarette que j'avais aux lèvres depuis toute à l'heure, elle n'étais pas allumée. Alors je m'avançais vers sa flamme, toujours la clope au bec jusqu'à pouvoir en faire brûler le bout pour inspirer une grande bouffée de tabac. Je soufflais toute la fumée, lâchant un bref remerciement en m'affalant a nouveau contre le mur. Il y eut un silence, je ne pourrais pas dire combien de temps on est restés là sans se parler ni même se regarder, juste à s'écouter respirer et fumer. Je repensais à ce qu'elle avait dit, et puis à son sourire qu'elle m'avait fait. Elle avait l'air de vouloir sincèrement aider les gens, je n'était
certainement pas le premier ni le dernier déchet bourré à qui elle conseillait de parler de ses problèmes. Ça n'avait rien d'une mauvaise idée, de toute façon je n'allais jamais la revoir.
- Mon grand frère est mort. Elle tourna son visage vers moi pour me regarder, approuvant silencieusement mon discours. C'était un peu mon pilier dans la vie, on faisait tout ensemble tout le temps. On était vraiment fusionnels, je n'avais que lui. Il m'a quasiment éduqué. On se soutenait, on se marrait bien ensemble aussi. C'était la personne la plus incroyable du monde. Il était vraiment génial, il pouvait tout faire, il était bon en tout, il pouvait tout réparer. Les objets, les blessures, même les gens. C'était une personne magique, un saint parfois. Il aidait toujours tout le monde autour de lui. C'était le genre de gars à aider une mère de famille à monter ses courses sur trois étages s'il la trouvait avec des sacs en bas de son immeuble, le genre à donner sa glace à un enfant qui avait fait tomber la sienne, le genre à écouter un inconnu parler pour lui remonter le moral sans que personne ne lui demande jamais rien. Il donnait tout ce qu'il avait en réserve, son amour, son courage, son énergie, sa bonne humeur. C'était une personne incroyable. Et pourtant il a eu une mort qu'il ne méritait pas. Un simple accident de voiture. Il s'est fait faucher par un poids lourd, comme ça, sans prévenir, dans une rue déserte. Il a tout fait pour tout le monde dans sa vie, et il est mort si jeune, il est mort si seul. Il méritait de vivre longtemps et d'être entouré. Il aurait du mourrir dans quatre-vingts ans, entouré de toute sa famille, des enfants, petits enfants et arrière-petits enfants qu'il aurait eu, et tous ses amis avec, et moi aussi. Il aurait du mourrir une journée d'été, avec un soleil guilleret et plein de fleurs autour, dans un paysage coloré, le sourire aux lèvres. C'est pas ce qu'il a mérité.
J'avais tout lâché d'un coup, sans me poser plus de questions. Après mon monologue, j'avais bizarrement peur de me retourner vers la gamine, elle devait me trouver bizarre. Pourtant, quand j'eus rassemblé mon courage pour enfin la regarder, elle me fit un sourire tendre. Elle n'avait pas eu besoin de parler, j'avais vu dans ses yeux qu'elle m'avait écouté et dans son sourire qu'elle me soutenait. Elle termina sa cigarette, souffla un bon coup puis se leva avant de se planter devant moi. Je relevais la tête vers la main qu'elle me tendait, remontais vers son visage toujours souriant, avant d'enfin prendre sa main pour me relever. Elle était vraiment petite d'ailleurs. Elle me regarda avant de lancer:
- Tu devrais rentrer, on peut t'appeler un taxi si tu veux.
- Et YeongSin?
- Si c'est le nom de l'ami avec qui tu es arrivé, oublies l'idée de rentrer avec lui il avait l'air de vouloir sortir en bonne compagnie.
Un point. Elle avait raison sur ce coup là.
- T'as ton téléphone? Demandais-je alors, légèrement gêné.
Elle me répondit par un rire cristallin avant d'attraper son téléphone dans sa poche arrière pour me le tendre. J'appelais alors, essayant de me faire comprendre par l'homme au bout du fil avant qu'il ne raccroche enfin. Je lui donnais son téléphone et d'un mouvement de tête elle m'intima de la suivre jusqu'au bord de le route ou le taxi allait arriver. On avait encore le temps de s'allumer une cigarette alors c'est ce qu'on fit, appuyés sur le mur du bâtiment devant une route passante beaucoup plus éclairé que la ruelle ou nous étions plus tôt. Je pus alors détailler un peu plus ma psychologue improvisée. Elle avait le teint très pale, ça contrastait beaucoup avec ses cheveux ébène remontés en un chignon désordonné sur le haut de son crâne. Elle avait des yeux noirs, un petit nez qui remontait et des lèvres pulpeuses rouge sang à cause de ses dents que j'avais déjà vu quelques fois se planter dedans. Ses joues et son nez étaient un peu rouges, à cause de son travail à l'intérieur de la boite chaude et moite puis de son passage à un froid d'automne j'imagine. Elle était vraiment jolie finalement. Je n'eus pas le temps de la regarder plus longtemps que mon taxi arriva, me cassant toutes mes pensées. J'avançais alors pour entrer dans la voiture tandis qu'elle restait là, nonchalamment appuyée au mur, la cigarette à la main, quand me vint une question. J'étais déjà a moitié entré dans la voiture quand je lui criais:
- Comment tu t'appelles?
Elle eu un sourire amusé avant de me répondre par « KiSuk ».
C'était un joli nom, KiSuk.

need ; kwon minsikOù les histoires vivent. Découvrez maintenant