Chapitre 6

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À six heures du matin, j'étais de corvée aux chevaux : je leur donnais leur foin, les brossais un peu (ce qui ne servait à rien puisqu'ils sont toujours poussiéreux), leur remplissais leur abreuvoir et tout. J'ai soudain entendu un cri, suivit d'aboiements de chien, ce qui excita les chevaux ; ils se sont mit à se ruer dessus, cela devenait dangereux pour moi et je décidai d'aller voir d'où venait le cri quand Jonas passa à toute allure devant moi, poursuivit par Geppetto, le chien de la ferme. Les cheveux de Blondinet sautaient en même temps qu'il courait, je ne sais pas pourquoi, mais cela me faisait penser aux petits, quand ils ne savent que courir, et pas marcher, et que en fait, ils sautent quand ils courent.
J'ai laissé Jonas courir encore un peu -pour la forme-, puis j'ai appelé Geppetto à mes pieds. Il a passé la queue entre les jambes et, penaud, il est venu vers moi, ainsi que le petit Jonas, réticent. J'étais surpris de le voir debout à six heures du matin, déjà tout frais. En même temps, quand tu te fais courser par un chien, c'est obligé que tu sois frais.

- Qu'est-ce que tu fais debout à cette heure-là? demandais-je en jouant avec le chien.

Jonas lança un regard au canidé et me répondit :

- On va faire une grande randonnée. Mes parents voulaient prendre une douche mais ils se sont rendus compte qu'on avait pas d'eau du coup ils m'ont envoyé chercher quelqu'un pour réparer l'eau mais le chien s'est mis à vouloir jouer avec moi mais je ne voulais pas puis la suite tu sais.

Il avait dit toute sa tirade sans respirer, je n'avais pas tout compris et pour l'embêter, je lui ai ordonné de tout répéter. Enfin bref, je suis allé, à six heures du matin, réparer une douche sous le regard de la famille de Jonas avec lui qui fixait mon dos. Je dois avouer que je ne l'avais jamais fait et que j'avais tout bidouillé en faisant n'importe quoi.
Après la "réparation" (lol, je suis sûr que j'avais cassé un truc), Marla m'offrit un café. J'aime pas ça, mais j'ai tout bu par politesse et, en plus, il y avait des gâteaux ! On ne refuse jamais de gâteaux quand même.

- Tu peux venir randonner avec nous, tes parents viennent aussi. me proposa Marla, avec une pointe de "je veux" dans la voix.

- Oui mais non. répondis-je. Je vois mes amis.

Faux faux faux.

- Invites-les!

Marla avait toujours le dernier mot et avait un truc dans son attitude qui faisait que tu ne pouvais pas lui obéir. Sauf Jonas.

Pendant la randonnée, les parents étaient tous devant ; les mères ensemble, les pères côte-à-côte, Joan, Maël et moi ensemble, laissant Jonas marcher seul derrière. Nous parlions en français, pour ne pas que Blondinet nous comprenne.

- Mais il te suit tout le temps?! demanda Maël.

J'acquiesçai.

- Haaan mais c'est trop mignon ! s'extasia Joan. Si ça se trouve, il est amoureux de toiii!

- Lol, fis-je, il me prend pour son grand frère.

Maël ria et dit que c'était puni par la loi, l'inceste entre frères. Je lui envoyai une grosse bourrade dans la côte qui lui coupa la respiration et il dû s'arrêter quelques minutes sur le côté du chemin pour essayer de respirer. Jonas nous dépassa, la tête haute, une expression hautaine sur le visage. Il nous observa méticuleusement chacun notre tour, j'entendais Joan à côté de moi qui se retenait de rire, elle devenait de plus en plus rouge. Blondinet annonça :

- Vous croyez que je ne vous comprends pas, mais j'apprends le français à l'école.

Et il partit.
Mes deux amis déglutirent. Je me précipitai vers Jonas, pour démentir tout ce qu'on avait dit (même s'il n'y avait rien pour démentir, en fait). Arrivé à sa hauteur, je l'appelai plusieurs fois afin qu'il s'arrête, mais Blondinet faisait l'âne et ne m'écoutait pas. Énervé, je lui frappai le derrière de la tête, il se retourna et me repoussa violemment, me faisant tomber par terre. Surpris, je restai hébété, sur mes fesses, la haute silhouette de Jonas dressée devant moi.

- Ne t'avise plus de faire ça, ok? ordonna-t-il. Et je ne sais pas qui t'as raconté ça, mais je ne te considère pas du tout comme un grand frère, tu es juste un inconnu prétentieux qui se croit un dieu en guitare.

J'aurais voulu lui répliquer "Mais bien sûr que je suis un dieu en guitare !", mais je repensais à ce mot, "inconnu". Moi, un inconnu, alors qu'on avait partagé des moments ensemble, de complicité, je l'avais emmené sur ma Vespa, manger MES figues, je l'avais emmené sur la plage, on s'était baigné et il s'était blotti contre moi, j'avais tout fait pour lui plaire -sans le vouloir. Sa remarque m'affecta beaucoup.
C'est là que je me rendis compte que tout le trouble que Jonas me causait, tous ces papillons dans le ventre, cette envie de vomir dès que je regardais ses yeux gris, c'était parce que j'étais amoureux de lui.

Juste le temps d'un été Où les histoires vivent. Découvrez maintenant