Chapitre 5

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Quelques jours après, alors que j'étais dans la cour de la ferme avec ma guitare, Jonas me rejoignit. Il s'assit sur la chaise en fer blanc devant moi, mis sa tête dans ses mains et m'observa jouer. À un moment donné, je ne supportais plus son regard et arrêtai de gratter les cordes de ma guitare. Je relevai la tête et ordonnai :

- Stop. Arrête de me regarder. S'il te plaît. Bitte.

Blondinet sourit. Il m'effleura le genou.

- Tu m'apprends?

Troublé par le vif contact de son doigt sur mon genou, j'acquiesçai mollement. Je lui tendis la guitare -qu'il prit. Je lui expliquai comment positionner ses doigts, ce qu'il exécuta avec grande labeur. Je dû me placer derrière lui afin de poser mes doigts sur les siens pour qu'il les mette bien. Il gratta alors les cordes et produisit un accord de grande qualité. J'applaudis.

- Très bien. Rends-moi ma guitare maintenant. ordonnais-je.

Jonas me jeta alors un regard rieur et se mit à jouer maladroitement le morceau "Paint it black", des Rolling Stone. J'étais médusé.

- Tu es sérieux?! m'exclamais-je. Tu sais jouer et tu me demandes de t'apprendre?!

Jonas éclata d'un rire cristallin.
Soudain, une goutte d'eau tomba sur mes partitions, puis deux, puis une pluie diluvienne s'écrasa sur nous. Je me mis à crier, à essayer de protéger mes partitions et ma guitare, à ouvrir cette foutue porte qui ne s'ouvrait pas. Je la frappai, la tirai, en vain. Je hurlai alors le prénom de Blondinet pour qu'il vienne m'aider, mais au lieu de ça, il m'entraîna dans son gîte, laissant ma guitare et mes partitions sous le torrent de pluie. Une fois au sec dans la location de Jonas, je regardai tristement mes feuilles s'envoler et se décomposer sous l'eau. Le vernis de ma guitare devait se décrocher et je maudissais le fait qu'il n'y avait pas de luthier près de Recanati. Triste vie pour le petit Silvio.
Soudain, je sentais une main s'abattre sur mes côtes gauches. Je sursautai en me remplissant de papillons : Jonas se tenait à côté de moi, une serviette moelleuse dans les bras dans laquelle j'enfouis précipitamment ma tête afin de cacher mon teint rouge.

- Ça va? demanda Jonas en passant son doigt rapidement sur la peau bronzée de mon bras -ce qui m' hérissa les poils.

- Non! lâchais-je. Arrête de me toucher, j'aime pas, ça me trouble! Stop.

- Et là, ça te trouble? ria Jonas en me pressant les joues d'une main.

Je me dégageai vivement, gêné.
Mais où était passé le Jonas timide, le petit blondinet pleurnichard des premiers jours?
Des bruits de sacs en plastique dans le vestibule du gîte nous annonça le retour des parents de Jonas. Ils appelèrent leur fils pour qu'il les aide, mais Blondinet se rembrunit et fila dans sa chambre, esquivant la corvée du débarrassage de course. Comme je suis un petit garçon très poli -et surtout avide de pourboire mais chut- j'allai aider mes voisins. Le sourire de la mère de Jonas s'élargit lorsqu'elle me vit : elle avait exactement les mêmes yeux gris que son fils, cela m'avait frappé, je me souviens.
Pendant que nous rangions les courses, Marla -la mère- me faisait la conversation. Elle ne faisait que de parler de Jonas. Jonas Jonas Jonas. Elle n'avait que ce prénom dans la bouche. Jonas Jonas Jonas. Jonaaaaas. Elle n'arrêtait pas de le louer, de le placer sur un piédestal. Mais elle a dû comprendre que cela me gonflait, car elle arrêta et se mit à parler de moi -mais Jonas était quand même là, dans ses phrases, le seul motif de conversation.

- Jonas t'aime beaucoup, tu sais. annonça-t-elle.

- Mmh mmh. fis-je, content sans le montrer.

- Il a toujours voulu avoir un grand frère... continua Marla en regardant en l'air, souriant, comme si elle voyait Jonas petit en train de jouer avec un frère imaginaire.

- Cool. dis-je. Fallait faire un autre bébé avant Jonas pour le contenter.

Marla fit comme si elle ne m'avait pas compris -ce qui est fort probable, quand j'y repense.
Elle tourna sa tête lentement vers moi, avec un large sourire. Hyper flippant.

- J'ai l'impression qu'il s'est attaché à toi et qu'il te voit comme un frère d'adoption. me confia la maman flippante.

- C'est gentil, dis-je, mais je n'ai aucune envie d'avoir un petit frère d'adoption, moi. Je dois déjà m'occuper de mes parents ouèche.

Marla se mit à rire.

Une fois chez moi, je pensai à ce que m'avait dit la mère de Jonas, qu'il me considérait sûrement comme un "frère". Cela me rendait triste ; je n'avais pas envie que Jonas me considère comme cela. Je voulais plus. Bien plus. Mais je ne le savais pas encore. Du moins, je ne voulais pas me l'avouer.

Juste le temps d'un été Où les histoires vivent. Découvrez maintenant