72 Heures - Maman

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18h32
72 : 00

Paul sait qu'à partir de maintenant, la situation est plus compliquée. Aborder sa mère va être totalement différent. Il ne va pas suffire d'agiter une laisse pour qu'elle le suive partout. Elle est tellement emmurée dans sa tristesse qu'il ne sait même pas si elle va le voir.

En général elle se contente de ranger la maison, de faire la cuisine mais parfois elle tombe dans de longues torpeurs où elle semble perdre tout contact avec l'extérieur.
Au début il a essayé de l'aider dans les tâches ménagères mais il a vite compris que c'était son exutoire, sa manière de fuir la réalité.
Il ne peut pas lui refuser ça, pas à sa mère.
Alors il la laisse faire. Il sait que dès qu'elle s'arrête de travailler, leur malheur la rattrape et elle perd tous ses moyens. C'est dans ces moments-là qu'il devient ardu de communiquer avec elle.

En prenant une grande inspiration, il pénètre dans le salon. Elle est là, prostrée sur le canapé. Comme un animal effarouché par la présence des hommes. Il n'aime pas la voir comme ça.
Il s'assoit à côté d'elle sans un mot. Elle le regarde.
Elle paraît si vieille, si fragile, léthargique, complètement effondrée. Échouée au milieu des coussins dont certains gisent au sol. Quel contraste avec le reste de la maison, luisant de propreté.
Quel contraste avec la femme forte qui tenait tête à n'importe qui, celle qu'elle fut. Il en a le cœur serré.

Elle essaye de faire semblant devant Mia, mais elle ne trompe personne, encore moins une enfant. Elle reste de longues heures dans sa chambre au point que Mia lui a demandé si quelqu'un était mort.
Elle n'a pas répondu et a fermé la porte à clé.
Cela a sonné comme un couperet tranchant le cou de Paul.
À ses yeux, il est déjà mort.

Le jeune homme prend une grande inspiration et se lance :

-Maman.

Elle ne répond pas. Ses lèvres s'entrouvrent dans un son muet. Paul espère longuement qu'elle lui dise quelque chose, n'importe quoi. Qu'elle s'énerve même. Il souhaite simplement réussir à établir le contact avec elle, elle qui paraît si loin.

-Je suis là, dit-il alors en cachant le sanglot dans sa voix.

Il s'en veut, il s'en veut tellement de lui infliger ça. Même s'il sait qu'il n'y peut rien, qu'il est innocent.
Il lui prend la main. Elle est molle, froide, sèche. Il la serre un peu plus fort dans l'espoir vain de la voir revenir auprès de lui.

Après de longues minutes, elle se redresse avec difficulté en fixant le mur, comme perdue dans ses pensées. Revenue au moment où elle était une petite fille qui avait besoin d'être rassurée.

-Pourquoi ? demande-t-elle sans paraître attendre de réponse.

L'espoir l'envahit. Si elle lui parle, il a peut-être une chance. Il lui suffit juste de la saisir en évitant de faire un faux pas.

-Comment veux-tu que je le sache. Je n'étais même pas né que cette maladie coulait déjà dans mes veines, maman. Ce n'est pas de ta faute. Et, même si papa a une grande responsabilité là-dedans, ce n'est pas non plus la sienne.

Il a peur d'être allé trop loin mais il s'est laissé emporter par son élan. Heureusement, elle lui répond malgré tout :

-Si. Il aurait dû me le dire.

Sa voix est rauque, éteinte.

-Et puis quoi ? Je n'aurais même pas pu vivre dix-huit ans. Mia non plus. Je préfère avoir cette existence faussée que pas de vie du tout.

Et il aurait aimé encore plus avoir une vraie longue vie, mais ça il ne peut pas lui dire. Il ne peut pas se le permettre.

Elle soupire difficilement mais semble reprendre ses esprits.

Cent-Vingt HeuresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant