Prologue : Osaka 2004

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Elle recula. Les yeux rivés sur le sol, elle se laissa glisser contre le mur derrière elle. Seul un faible rayon de lune éclairait la ruelle déserte, tandis que le vacarme de la ville grondait, imperturbable. Elle avait le teint pâle d'un fantôme. Que venait-il de se passer ? Que faisait-elle ici ? Sa mémoire semblait lui jouer des tours. C'était comme si son esprit refusait d'assimiler ce qu'elle avait vu. Une mare de sang s'écoulait d'un corps inanimé, avançant implacablement vers ses pieds. Se recroquevillant un peu plus sur ses vêtements en lambeaux, la main plaquée sur sa bouche, elle commença à pleurer sans pouvoir émettre le moindre son.

Une main vint se poser doucement sur sa tête. Les doigts ensanglantés de l'inconnu glissèrent dans sa longue chevelure dorée. Elle était prise de terribles tremblements.

— Chut... Calme toi, ça va aller maintenant, je suis là.

C'était la voix d'un homme, elle était douce et calme. Il l'enveloppa dans son manteau et la souleva. Les yeux de la jeune fille fixèrent le sourire de l'homme quelques secondes, puis elle s'évanouit dans ses bras.

Lorsqu'elle reprit conscience, elle fut incapable d'ouvrir les yeux, elle avait l'impression que ses paupières étaient en plomb. Cependant, elle entendait très distinctement les voix de deux femmes qui semblaient venir de l'extérieur de la pièce.

— Tu as vu ça ? Il paraît qu'un jeune a été retrouvé égorgé dans les égouts derrière le « Kakuteru no Pedro » l'autre nuit. À cause de l'eau, la police n'a pas retrouvé le moindre indice, rien.

— Quel monstre serait capable de faire une chose pareille ? Il avait quoi le gosse ? Dix-sept ans ?

— Oui, il était au lycée « Furayaba », le même que ma fille... Pauvre gamin, c'est vraiment triste, sa famille doit être anéantie.

— Et la petite blonde de quinze ans qu'on a retrouvé inanimée devant les urgences ce matin, elle portait des vêtements d'homme, ça faisait deux jours qu'elle était portée disparue. Je commence à m'inquiéter pour la sécurité de mes enfants...

L'hôpital ? Deux jours ? Elles parlent de moi ?

Elle ouvrit les yeux.

Lorsque la douleur provoquée par la lumière des néons se fut dissipée, elle distingua un visage familier penché au-dessus d'elle. Alors qu'elle se redressait, le regard de son amie s'embua.

— Comment tu te sens ? Je suis venu dès que j'ai entendu parler d'une fille retrouvée devant l'hôpital, j'ai tout de suite su que c'était toi.

Le visage de sa camarade exprimait une profonde tristesse, mais aussi de la peur, c'était la première fois qu'elle la voyait arborer cette expression. Son regard d'ordinaire dur et froid, encadré par de courts cheveux ébène, avait changé du tout au tout, si bien que la blonde avait du mal à la reconnaître.

— Que s'est-il passé ? demanda elle d'une voix faible. Comment je suis arrivée là ?

— Tu ne te souviens vraiment de rien ? L'infirmière nous a dit qu'ils t'avaient retrouvé inconsciente devant l'hôpital. Lui répondit son amie, la voix tremblant de colère.

La jeune amnésique fronça les sourcils, comme pour essayer de se souvenir de ce qu'il s'était passé, mais en vain. Son amie d'enfance sortit un papier froissé de sa poche, et le lui tendit.

— Un fax ? s'étonna-elle. Elle lu en silence sous le regard anxieux de son amie qui semblait redouter sa réaction.

« Ma très chère nièce,

C'est avec une profonde tristesse que je me dois de t'annoncer le décès de tes parents pendant leur voyage à...»

Elle n'eut pas besoin de lire la suite pour se souvenir du reste de la lettre. Elle marqua une longue pause, le visage assombri par ses souvenirs retrouvés :

— Alors ce n'était pas un rêve... Souffla-t-elle.

La prenant par l'épaule, sa visiteuse lui répondit :

— J'ai bien peur que non. J'ai essayé de te rattraper, mais tu étais déjà loin... Je suis désolée...

Elle cacha ses yeux avec sa manche mais ne put retenir ses sanglots.

— En lisant ça... Je... J'ai... Alors... j'ai couru, couru, jusqu'à ne plus pouvoir le faire. Et je me suis retrouvée dans cette ruelle...

Elle paraissait tout revivre au fur et mesure qu'elle parlait.

Elle poursuivit, le souffle court :

— ...Et il y avait ce bar... Quelqu'un m'a conseillé de ne pas rester là puis est partit, et après... Après ... Il est arrivé...

— Qui ? Tu l'avais déjà vu ? Interrogea son amie.

— Non. Il était jeune, il voulait savoir pourquoi je pleurais et il a fait mine de me consoler et puis...

Elle grimaça à nouveau.

— Et puis...

Ses yeux se remplirent de larmes. Elle sentait sa jupe se déchirer à nouveau et une main remonter le long de sa cuisse, entre ses jambes...

Son amie fronça les sourcils et l'interrompit, tant ces révélations étaient douloureuses à entendre.

— Tu sais, tu n'es pas obligée de raconter ça... Mais que s'est-il passé après... ? Je veux dire pendant les deux jours où tu as disparu ? Où étais-tu ? Comment as-tu pu t'échapper ?

Naomi fixait le sol intensément et se recula dans son lit l'air paniqué.

— Je... J'en sais rien...

Elle baissa la tête pour dissimuler ses larmes et après un silence qui sembla interminable, l'autre reprit :

— Mes parents nous attendent dehors, dès que la police t'aura interrogée, on rentre à la maison.

Eigo no Sensei - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant