À double tranchant - 2

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Maintenant que j'étais particulièrement attentive à nos échanges, je commençai à tout remettre en question.

Le dimanche après-midi, j'étais à la table de la cuisine du Terrier, à boire du thé, grignoter des biscuits, et papoter avec Ginny et Molly. Du clic-clic des aiguilles qui tricotaient une maille à l'endroit, une maille à l'envers (une nouvelle couverture pour la naissance imminente du premier arrière-petit-enfant de Molly), aux patates qu'on pelait et aux choux de Bruxelles qu'on découpait, la cuisine crépitait de magie. J'aimais Molly et Arthur. Ils m'aimaient aussi ; j'étais comme une autre fille pour eux. On n'aurait pas pu souhaiter avoir de plus gentils beaux-parents, ou de meilleurs amis.

Et pourtant. On avait accepté sans discussion que Ron et Harry arriveraient directement au Terrier par Portoloin au retour de leur voyage. Et oui, c'était logique, parce qu'on enchaînerait immédiatement sur un festin : rôti de bœuf et Yorkshire pudding, ce qui tombait bien car c'était le plat préféré tant de Ron que de Harry, mais sérieusement ! D'une certaine façon, c'était comme si on était toujours les ados du temps de Poudlard. Je suppose que c'est plus ou moins la même chose dans les autres familles très proches – avec en plus l'ombre de la mort de Fred qui plane dans les coins solitaires de la maison, et qui rend impossible le moindre rêve d'autonomie filiale. Mais je repensais à ce que Dra... Malefoy avait dit sur la guerre, et comment elle nous avait changés si profondément que c'est comme si on avait réécrit toute l'histoire.

C'était comme faire le planning de la semaine. Je ne voyais aucun moyen de le changer sans un séisme émotionnel majeur. Je ne trouvais pas ça vraiment impensable que Ron puisse arriver en Portoloin à la maison d'abord, prendre une douche, peut-être même embrasser sa femme, et ensuite seulement Cheminer chez ses parents pour le dîner en famille, mais ça ne nous serait jamais venu à l'esprit. Avant. Et c'était juste un exemple, à une échelle relativement réduite. Mais cette mentalité se retrouvait dans chaque facette de nos vies. Il n'y avait jamais eu de remise en cause du fait que Harry et Ginny devaient être nos voisins. Que leurs enfants deviendraient en quelque sorte les enfants que nous ne pouvions pas avoir. Que Ron, bien sûr, suivrait Harry quel que soit le chemin sur lequel celui-ci aurait envie de s'engager. Quirell avait fait entrer un troll dans Poudlard, et à partir de là nos destins avaient été réunis.

Est-ce que Ron et moi avions vraiment tant que ça en commun, en dehors de ce passé et de tous ces sacrifices ? Je savais qu'on s'aimait, mais quand est-ce que notre vie était devenue si planplan qu'on ne pensait même pas à faire l'amour pendant nos vacances ? Quand j'avais épousé Ron, c'était comme si tous les autres avaient été en orbite, et que nous deux étions le soleil au centre. Maintenant, je n'avais plus l'impression qu'il y avait un centre. À un moment donné, on avait rejoint les autres en orbite, et je pouvais donner ma langue au chat quant à savoir qui était le soleil ; je savais juste que ce n'était pas nous. Je me serais sentie insultée si quiconque avait suggéré ça dix ans auparavant, mais aujourd'hui rien que d'y penser me faisait une boule à l'estomac.

Ces pensées dangereuses me tourmentèrent tout l'après-midi tandis que nous aidions Molly à préparer le repas. Je cassai deux assiettes, me coupai avec un couteau à légumes, réussis à faire couler du jus de viande sur un chemisier relativement neuf.

« Ça va, Hermione ? demanda Ginny à voix basse. Tu as l'air ailleurs. »

Jetant un coup d'œil au devant de mon vêtement, elle secoua la tête.

« Je pense pas qu'on arrivera à faire partir ça, même avec la magie. C'était pas un chemisier neuf ?

— Si, tu as raison. Et oui, il est foutu. Mais je vais bien, mentis-je. Juste fatiguée. Ça a vraiment été deux semaines infernales. Un projet pénible au boulot. »

Ma dernière phrase avait été dite de cette voix qui sous-entendait que j'en dirais plus si je pouvais, mais que je ne pouvais pas. Tu vois.

Le bon côté du fait que Harry et Ron soient des Aurors, c'est que la majorité de ce qu'ils faisaient était confidentiel. Si vous ne donniez pas de détails, alors tout le monde supposait que vous étiez placé sous un Sortilège de Confidentialité. Merci Merlin, parce que oui, le renvoi de Jenkins devait rester un secret absolu ; et les petits-déjeuners, déjeuners et tête-à-tête avec Drago étaient un sujet tout aussi verboten, pour autant que j'étais concernée.

Ron et Harry arrivèrent dans le tohu-bohu qui était à prévoir. Si Harry était merveilleusement bronzé, les tentatives futiles de Ron pour prendre quelques couleurs n'avaient eu pour résultat que des coups de soleil répétés ; il pelait de partout.

« C'est pas juste, ronchonna-t-il. Vous l'avez vu ? Une belle couleur abricot, tandis que moi je suis une gigantesque tache de rousseur.

— Une gigantesque tache de rousseur en train de muer, commenta Ginny.

— Ginny, enfin, la reprit Molly. Harry, mon chéri, dis-nous tout sur New York. Est-ce que le quartier sorcier est aussi grand que le Chemin de Traverse ? »

Son père prit Ron à part, chuchotant :

« Est-ce que tu as pu prendre le métro à New York ? »

Comme tous les dimanches, Molly remplit nos assiettes jusqu'à ce qu'elles débordent, Ron fit des blagues tout le long du repas pendant que Ginny se fichait de lui, Harry lui servit de partenaire en crime, et Arthur garda la conversation à flot, arrondissant les angles entre Ron et Ginny. Et moi. Je ne savais pas quel était mon rôle dans ce tableau de famille. Je voyais tout cela avec des yeux neufs, et je n'arrivais plus à déterminer quelle était ma place ici.

On rentra à la maison vers huit heures. La routine habituelle du dimanche soir se mit en place. Je fis couler un bain à Ron. En dépit de sa taille, il aimait se plonger dans un bain brûlant. Plus l'eau était chaude, mieux c'était. Pendant qu'il faisait trempette, je préparai nos vêtements pour le lendemain, notre repas de midi, et mis la table pour le petit-déjeuner. Il était déjà au lit quand je montai. Il avait mis l'eau pour mon bain à couler.

« Un voyage génial mais bon sang, je suis mort. Et demain, retour au charbon, hein ? »

Il tapota son oreiller, bâilla et ferma les yeux.

« J'aimerais voir New York, laissai-je entendre. »

C'était absolument faux. Mais il avait passé une bonne heure à table à répéter que c'était totalement fantastique. Je m'étais mordue la langue pour ne rien répondre tout du long.

« On pourrait peut-être y aller pour Noël. »

Cela lui fit rouvrir les yeux.

« Tu es malade ? Ça ferait de la peine à tes parents, et ma mère piquerait une crise si tout le monde n'est pas là pour Noël. Tu sais comment elle est. Hermione ? »

Il me regarda, me regarda vraiment pour la première fois qu'il était rentré.

« Bon sang. Qu'est-ce que tu as fichu ? Tu as l'air encore plus épuisée que moi. Ah. C'est vrai. »

Il soupira.

« C'est demain le truc sur Jenkins, non ? Je sais que tu seras géniale, cela dit. C'est comme s'il était déjà viré. »

Ce fut accompagné d'un autre long bâillement, et il ferma les yeux à nouveau.

« Oui. J'en ai pour une minute, promis-je. »

Je courus presqu'à la salle de bain. Je pris le bain le plus rapide jamais vu, passant le gant de toilette sur mon corps avec des mouvements rapides et vifs, avec l'intention de tenir la promesse que je m'étais faite à moi même. Du sexe. Cette nuit, mon mari et moi ferions l'amour bruyamment et j'oublierais ce désir absurde que j'avais ressenti pour Malefoy dans son appartement.

Les plans les mieux préparés...

En me brossant les dents, j'entendis les ronflements de Ron.

Je me glissai dans le lit et me blottis contre lui en murmurant mon rituel d'excuses. Comme tous les soirs.

La femme du politicien - DramioneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant