Chapitre IX

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Monsieur Roussel n'avait visiblement pas grand-chose à faire des aléas de la vie de ses élèves. Ils étaient au courant depuis longtemps, s'il fallait être parfaitement honnête, mais le regarder reprendre les cours comme si de rien n'était se situait sur un plan astral complètement différent que ce à quoi ils s'attendaient. Même Clarence, les lèvres pincées et le regard sombre, semblait presque affecté par le peu de cas que faisait le professeur de la place vacante au premier rang de la salle. Lou, quant à elle, se faisait les ongles, égale à elle-même, et peut-être Pim se serait fait avoir si elle n'avait pas su que le vernis qu'elle utilisait était le préféré de Jeanne. Lou transformait ses ongles en armes et ses mains en mausolée. C'était une technique de protection que Pim reconnaissait. Monsieur Roussel, lui, ne savait apparemment pas.

« Lou ! » tonna-t-il, les bras croisés. « Tu pourrais peut-être venir nous montrer tes planches de chara design. »

Lou se leva avec une grâce presque surréaliste avant de saisir les planches qui traînaient sur sa table. Si la plupart des élèves les présentaient numériquement, Lou semblait butée sur l'idée de ne travailler qu'en traditionnel. C'était admirable, d'une certaine façon, mais Monsieur Roussel semblait l'avoir pris en grippe. Le regard qu'il lui lançait ce matin-là en était une preuve presque trop évidente pour être notée. Roussel haïssait Lou, la terre était ronde, Pim aussi, tout finissait par s'effondrer.

La fin de la matinée fut chaotique, au mieux, insupportable, au pire. Lou répondait, le prof attaquait, la classe était saisie d'un mutisme glacial. Pim, les mains crispées sur les rebords de son short, suivait des yeux le ping-pong verbal avec anxiété. C'était la sonnerie, finalement, qui les fit cesser. Son sac balancé sur l'épaule, Lou fut la première dehors. Le reste de la classe ne tarda pas à suivre.

« Pimprenelle, à mon bureau, s'il vous plaît, » la retint Roussel alors qu'elle s'apprêtait elle aussi à décamper.

Pim ne savait pas ce qu'elle détestait le plus : l'usage de son prénom complet ou le fait de devoir rester à la fin de l'heure. Probablement un mélange des deux, se dit-elle en reposant au sol son sac. Probablement, même, et le sourire presque sincèrement compatissant de Roussel lui filait des envies de meurtre.

« Je peux faire quelque chose pour vous, monsieur ? »

La réponse était : probablement pas. Il était possible que le bonnet qu’elle tirait vainement pour couvrir son visage soit possiblement la source de la curiosité du professeur. Peut-être parce qu’il était rose vif ou à cause du pompon qui s’agitait au sommet. Peut-être, aussi, parce qu’il faisait trente degrés et qu’elle semblait sortir du fin fond du Groenland.

« J’étais juste curieux de votre tenue. »

Bien sûr. Évidemment. Elle fronça les sourcils et il leva le doigt, trop habitué à la contrarier pour ne pas savoir pertinemment quand il était en train de faire. Elle ravala sa salive difficilement. Elle avait frôlé l’avertissement plusieurs fois et elle savait parfaitement qu’une nouvelle incartade ne serait pas pardonnée, peu importait qu’elle soit la seule élève de l’option sculpture de son année. Lorsqu’elle eut l’air rassérénée, Roussel esquissa un geste royal de la main, comme pour l’inviter à parler. Si elle avait pu, sans doute lui aurait-elle arraché la langue. Malheureusement, ça n’entrait pas dans les choses qu’elle pouvait espérer réaliser.

« J’ai juste eu une altercation malheureuse avec une paire de ciseaux – rien de grave.

– Votre prof d’anglais m’a signalé que vous furetiez dans l’école avec vos amis l’autre jour. Avec la mort de Jeanne, on pourrait imaginer que vous soyez plus prudentes. »

GalatéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant