Chapitre IV

13 2 2
                                    

La photo de Jeanne était à la une des journaux nationaux. La photo, en noir et blanc, dessinait une jeune femme aux cheveux noirs et courts, la mine sérieuse et les vêtements débraillés. Il manquait la chaleur de ses yeux et la façon qu'elle avait de superposer douze mille couches de vêtement, mais Pim se demandait où ils avaient obtenu cette photo. Ce n'était pas la photo de sa carte scolaire – elle avait encore les cheveux longs lorsqu'elle avait été prise – ni une photo de son Facebook où elle postait très peu. Ç'avait été pris à l'école, pourtant, qu'on discernait en arrière-plan, mais Pim n'avait aucun souvenir de ne l'avoir jamais vue et leurs amies juraient ne pas en être l'auteur non plus.

Pim les croyait. Elles auraient pu, en toute bonne foi, avoir oublié avoir pris la photo. Ce qu'elles n'auraient pas oublié, en revanche, était d'avoir envoyé la photo aux journaux. Jeanne ne croulait pas sous les amis, pourtant, avant sa mort. Pim ne voyait pas qui aurait pu prendre cette photo-là.

Dans la salle de cours, Zahra déchirait rageusement le journal. Elle faisait un collage, mais Pim la soupçonnait de se venger rageusement des gros titres. Jeanne y était décrite comme sombre et introvertie et l'on préparait les lecteurs à un suicide avait même que l'enquête n'ait été menée. Si Pim s'était passé les nerfs en faisant de la céramique, Zahra, elle, nourrissait clairement des envies de destruction.

« J'vous jure, » marmonna-t-elle en traçant un large trait rouge le long du visage de Jeanne. « Si je croise ce journaliste, je le bute.

– C'est dans le Parisien, je doute qu'il se pointe en Charente.

– On devrait l'obliger à se pointer puis lui casser les dents. »

Dalia sourit, à la réponse, avant de secouer la tête. Lou, les yeux rivés sur la fenêtre, se tourna vers elles le temps de leur lancer un regard glacial.

« Vous pensez qu'on a le temps pour ça ? Je dois vous rappeler que Jeanne est morte ? »

C'était injuste de la part de Lou, bien plus qu'elle ne pouvait l'être en temps normal. C'était tranchant et accusateur et Lou s'était aussitôt renfermée sur elle-même, les jambes ramenées contre son torse en un barrage singulier. Pim haussa un sourcil qui fit baisser les yeux à Lou.

« Il faut qu'on aille voir le Sycophante, » souffla-t-elle depuis l'arrière de ses longues mèches blondes.

« Ce soir ? »

La voix de Zahra était teintée d'appréhension. La question fit pivoter les têtes de Dalia et d'Anush dans leur direction. Si, jusque là, elles avaient fait mine d'ignorer la discussion, cette partie-là ne leur avait pas échappé.

« Ce soir, » récapitula Pim à leur intention. « 22h30, en haut de l'escalier. On descend à l'atelier. »

Dalia pianotait du bout de ses ongles peints contre le bois usé de sa table. C'était un geste nerveux qu'elle ne contrôlait pas. Pim savait qu'elle détestait cet infime signe de faiblesse. Dalia savait que Pim ne ferait pas de remarques à ce sujet.

« Vous savez, » fit une voix, dans leur dos. « Quand on conspire, on tente de le faire discrètement. »

C'était une voix qu'elles connaissaient par cœur et, avec grognement poussé en chœur, les filles tournèrent les yeux vers le garçon qui s'appuyait à présent contre la table de Zahra. Contrairement à Clarence et à une partie de leur classe, Jules les appréciait. Le principal problème, peut-être, était qu'il avait un sixième sens pour détecter les moments où elles faisaient des conneries. C'était parfait lorsque c'était pour les aider à faire le mur. Ça l'était beaucoup moins lorsqu'elles avaient désespérément besoin de comploter.

GalatéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant