La salle sentait fort la térébenthine. Sous les pieds de Pim, le parquet craqua doucement. Elle soupira lorsque la main de Dalia trouva la sienne, serra fort ses doigts entre les siens. Elle n'était visiblement pas la seule à ne pas être tranquille. Anush s'assit à la table en face du mur percé, les yeux rivés sur le trou qui recueillait tous les secrets. Zahra, les bras croisés, se posta près d'elle. L'ambiance était bien plus lourde qu'elle ne l'était habituellement. Entre elles flottait l'Absence de Jeanne, comme une personne à part entière, silencieuse et intangible, mais terriblement présente là où leur amie aurait dû se trouver.
Le dos contre le mur percé, Lou les fixait.
Elle essayait d'avoir l'air forte, ça crevait les yeux. Elle essayait d'avoir l'air stable, d'avoir l'air sûre d'elle. Elle essayait de mettre le masque qu'elle avait si soigneusement confectionné pour que les autres ne se doutent de rien, mais elles se connaissaient trop bien pour que cela prenne. Peut-être, de toute façon, n'étaient-elles pas celles que Lou essayait de tromper et cette simple pensée tordait les tripes de Pim. Peut-être était-ce le Sycophante à qui Lou essayait de mentir. La pensée, rapidement, devint une certitude lorsque Lou souleva délicatement le poignet pour observer sa montre. C'était la seule personne que Pim connaissait qui utilisait réellement une montre ; la plupart des gens qu'elle fréquentait utilisaient simplement leur téléphone, un autre type se baladait avec une montre à gousset pour se la péter, mais Lou refusait tout bonnement de sortir sans sa montre. Elle prétendait souvent que c'était une question de style, mais Pim refusait de croire à une explication aussi banale dans la bouche de Lou. Lou était une conteuse, une menteuse, une embobineuse. Si elle offrait une explication aussi simple, c'était qu'elle cachait quelque chose de beaucoup plus compliqué. Pim le savait, Dalia le savait, Zahra le savait, Anush le savait, Jeanne, entre toutes, devait le savoir aussi, mais personne ne demandait.
Personne ne questionnait jamais Lou, quoi qu'il advienne, c'était peut-être leur tort à toutes. Personne ne lui demandait jamais ce qu'elle faisait et pourquoi, si ça allait, si c'était vrai, si elle avait besoin de quoi que ce soit. Lou donnait des ordres, distribuait ses exigences comme des bonbons, mais ne laissait jamais personne s'inquiéter. Elles avaient toujours fonctionné comme cela. Pim commençait à en discerner les limites.
Un bruit de tissus lui fit tourner la tête. Dans l'obscurité, rien ne bougeait. Elle était sûre d'avoir vu quelque chose en pénétrant dans la salle, mais la lumière de leurs téléphones n'avait rien révélé, comme si le noir permettait à des choses étranges de pousser. Dalia tira sur sa main pour attirer son attention et elle tourna la tête pour observer Lou à nouveau. Elle attendait apparemment d'avoir leur attention entière pour commencer à parler puisque dès que les yeux de Pim se posèrent sur elle, elle ouvrit la bouche :
« C'est moi qui donnerais un secret, ce soir.
– Le tien ? »
La voix d'Anush était méfiante et Pim pouvait le comprendre. C'était elle, la première, à qui Lou avait extorqué un secret. C'était elle, la première, qui s'était éloignée de Lou sans jamais quitter leur groupe. Lou avait tenté, plusieurs fois, de faire comme si rien ne s'était passé, mais Anush ne l'avait jamais laissée faire. Elle était là pour les autres, mais plus pour Lou, plus jamais pour Lou. Elle était là ce soir, pourtant, et Pim était presque certaine que c'était par inquiétude pour Lou.
« Le mien, oui. » D'un geste vague, Lou remit derrière son oreille une longue mèche de cheveux blonds. « Un des miens. »
Pim n'était pas certaine du nombre de secrets que Lou avait à offrir. C'était le principe, c'était ce qui rendait la chose plus incertaine encore. Elles ne pouvaient pas tout se confier les unes aux autres sous peine de se priver d'une occasion de se faire offrir un voeu par le Sycophante. Elles étaient obligées de se garder à distance, les unes des autres, si elles voulaient continuer à profiter des pouvoirs de la créature. Elles auraient pu arrêter, bien entendu. Zahra, la première, l'avait fait. Anush n'avait pas tardé à suivre. Jeanne n'avait jamais commencé, de ce que Pim savait. Elle haussait les épaules quand on lui demandait si elle n'avait rien à demander, passait une main osseuse dans ses cheveux coupés courts, prenait une seconde pour chercher avant d'abandonner. Elle leur avait dit que rien de ce qu'elle pouvait souhaiter ne pouvait être accordé de cette façon. Pim se demandait à présent si elle parlait de Lou, ce jour-là. Zahra devait se poser elle aussi la question parce que ses yeux trouvèrent ceux de Pim dans la pénombre, une question dans les pupilles, comme si Pim était la mieux placée pour y répondre.
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Galatée
Misterio / SuspensoSur les bords de la Charente existe l'École des Carnes. Dans l'École des Carnes existe un secret, un secret lourd, un secret qui sent le sang de Jeanne qui imbibe les pavés de la cour. Entre les statues et les croquis, Pim, Dalia, Zahra, Anush et Lo...