Chapitre XI

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Le plateau d'Angoulême bruissait. La fin de l'été avait ramené de l'activité dans les rues et, assise en tailleur dans le parc de l'hôtel de ville, Pim regardait passer les gens. Dalia l'avait obligée à sortir prendre l'air, lorsqu'elle avait refusé de sortir ce matin et elles s'étaient toutes éparpillées dans le centre-ville. Elles n'étaient pas loin, certainement, mais c'était toujours un sentiment étrange de se retrouver sans elles, comme si on lui avait amputé un bras. Elle exagérait peut-être un peu, mais le sentiment qui titillait son ventre n'en était pas moins désagréable. Avec un soupir, elle leva à nouveau les yeux sur la statue qui trônait dans le jardin. Elle avait été nettoyée, dernièrement, et Pim profitait de la relative blancheur de la pierre pour en capter tous les détails.

Derrière elle, l'agitation des gens qui se pressaient dans le Quick qui bordait la place la berçait. L'odeur de graisse qui flottait dans l'air était agréable d'une façon parfaitement stupide et elle ferma les yeux, une seconde, avec l'espoir d'arriver à attirer jusqu'à elle un paquet de frite par la seule force de sa pensée. Impossible que cela fonctionne, bien entendu, mais elle dut attirer tout de même quelque chose puisqu'une sensation gelée se pressa contre sa joue. Si le parfum de Dalia ne flottait pas dans l'air, sans doute aurait-elle sursauter. À la place, elle rouvrit les yeux et sourit, attrapant le granité impossiblement bleu qu'on lui tendait.

« J'ai pris ton préféré même s'il a l'air carrément dégueu. » lui signala la jeune femme, un granité d'une couleur verte toute aussi chimique dans la main. « L'air te fait du bien ?– Le monde me fait du bien. » corrigera Pim en suçant le bout de ma paille qui était plongé dans la glace avant de s'immobiliser. « On est en plein milieu d'un truc pas net. – Je sais pas. » Dalia dut percevoir la déception que ressentait Pim, puisqu'elle ajouta : « Je te crois, tu le sais. Mais je parviens pas à croire que Jeanne aurait pu faire ça. – Se suicider ? – Te menacer. »

Pim n'en croyait pas un mot elle non plus mais l'autre explication était plus terrifiante encore. Lorsque Dalia ouvrit la bouche, comme pour l'évoquer, Pim attrapa son poignet de la main qui avait tenu le verre en plastique gelé. Dans un sursaut, Dalia manqua de renverser son verre, un mélange d'injures et de rires qui s'échappaient de sa bouche comme d'une fontaine.

« Ne détourne pas la conversation ! » lança-t-elle entre deux hoquets de rire et Pim serra un peu plus le poignet entre ses mains.

Le frisson qui passa sous ses doigts n'était cette fois pas dû au froid et elle releva les yeux, troublée de trouver le visage de Dalia si proche du sien.

« Tu abuses, Pimprenelle. » murmura Dalia, tout bas, et le cœur de Pim sembla se flêtrir dans sa poitrine. Répondre fut difficile :

« J'ai peur.– De quoi ? – Si c'est lui, Il sait tout. J'ai peur de ce qu'Il peut savoir de moi. – Tu as des choses à cacher ? »

Dalia ressemblait à une statue, dans le soleil, et les doigts de Pim la démangeait. Prudemment, elle fourra sa main sous sa cuisse, attendit une seconde, le temps de se recomposer, avant de contrer :

« Toi pas ? »

Dalia resta silencieuse. La question n'avait rien d'un piège. Tout le monde avait des secrets, personne n'était épargné. Certaines choses étaient faites pour être tues, gardées, tuées. Personne n'avait besoin de savoir ce qu'elle enfermait sous clé. Pim ne voulait risquer de perdre ses amies les plus proches si elles apprenaient ce qui s'agitait au fond d'elle. Le pari était trop risqué. Elle avait trop à perdre, presque aucune chance de gagner. La main de Dalia se posa sur la main qui serrait toujours son poignet et, comme brûlée, Pim esquissa un geste pour retirer sa main. Dalia la retint.

« Pimprenelle Boislevin, écoute-moi bien. » Les doigts de Dalia, brûlants, se melerent au sien. « Aucun secret ne me ferait m'éloigner. »

Elle était déjà trop proche. Lorsqu'elle embrassa l'œil rouge sur son front, Pim ferma les yeux, comme pour y croire, même juste un peu.

« Mais qu'est-ce que vous fichez ? » les interrompit la voix incrédule de Lou qui arrivait de l'autre côté de la statue. « Vous attire tellement l'attention qu'on va finir par vous arrêter par conduite inappropriée. »

Le ton de Lou était léger, taquin, mais quelque chose de plus trouble était enfoui sous les mots et Pim fronça les sourcils, une seconde. La main de Dalia quitt la sienne, sans précipitation, et l'air froid de la fin d'après-midi effleura sa peau. Lorsque Lou lui tendit une poche de bonbon, Pim força un sourire peu convaincu. Lou, en face d'elle, ne sembla pas s'en offusquer.

« J'ai été me balader dans les librairies. » expliqua-t-elle d'une voix tranquille. « Rayon ésotérisme. Ils avaient des bouquins sur les anges, vous y croyez ? Absurde. Bref j'ai cherché un bouquin sur les rituels de protection ou des trucs du genre. Histoire qu'on soit pas démunie, la prochaine fois.– La prochaine fois ? – Pim, tu te rends bien compte que ça empire, non ? Ça va forcément se reproduire. »

Malgré son aspect désinvolte, Lou n'était pas négligente. Elle avait passé visiblement une partie de l'après-midi à trouver une solution à leur problème et, si elle paraissait si peu concerné par ce qui se passait, c'était peut-être simplement que tout était devenu trop pesant et douloureux à ressentir. Elle avait perdu Jeanne et, à présent, tout semblait spiraler hors de contrôle. Pim elle-même était sur la sellette et, comme un affreux jeu du sort, leur relation semblait s'effilocher petit à petit, comme deux bateaux qui deriverait loin l'un de l'autre, retenus par une corde qui commençait à céder.

S'il fallait être honnête, Pim n'aurait pas été étonnée que la culpabilité ronge Lou. Elle souffrait en silence mais Pim la connaissait suffisamment bien pour reconnaître les signes. Lorsque ses parents avaient divorcé, elle s'était comporté exactement de la même façon. Trois mois plus tard, elle avait pleuré dans les bras de Pim en lui demandait comment elle avait fait pour gâcher même cela. Qu'elle ne soit en rien coupable ne changeait rien à la douleur. Lou, comme un animal, ne faisait que masquer les blessures purulentes derrière un sourire tranquille.

« Tu sais si Clarence va nous foutre la paix ? » finit par demander Pim, pour changer de sujet.Sortie d'une contemplation lointaine, Lou cligna des yeux. « Oh, si j'étais toi, Pim, je ne m'en ferais pas trop. Il peut aboyer tant qu'il veut, c'est une poussière comparé au reste. »

Lou tapota son propre front du bout du doigt et, prise de court, Pim baissa les yeux, les sourcils froncés. Elle n'avait pas besoin qu'on le lui rappelle mais Lou était de mauvaise humeur : sous les mots légers se cachaient des couteaux, Pim savait les reconnaitre.

« Ce soir, on tente l'atelier.– Jeanne m'a dit de ne pas faire ça.– Jeanne ? Ce n'était pas Jeanne, si c'était elle, elle ne t'aurait pas blessée ou menacée ! » C'était de la colère, dans la voix de Lou, de l'indignation et Pim serra les dents. « Si ça avait la forme de Jeanne peut-être qu'elle est là-bas ! »

Là-bas où, Pim n'en savait rien. Ce qu'elle savait, en revanche, c'était que Jeanne était morte et que la lubie de Lou, à laquelle elle se pliait déjà, lui ferait peut-être suivre le même chemin.Même les voix de Zahra et d'Anush, quelque part derrière elle, ne la détendirent pas.

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⏰ Dernière mise à jour : Apr 30, 2020 ⏰

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