Chapitre II

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Le réfectoire bruissait d'une énergie qui rendait Pim nauséeuse. Les murmures allaient et venaient comme des vagues sur une berge particulièrement boueuse et la simple pensée d'y enfoncer un pied lui donnaient envie de fuir. Jeanne était morte. Les gens allaient forcément poser des questions, se tourner vers ses amies pour savoir ce qui s'était passé, le genre de curiosité malsaine qui l'insupportait. Moins que les journalistes qui afflueraient probablement bientôt, Pim craignait de lire dans les regards de ses camarades la même expression qu'avaient les gens qui se tenaient devant des terrariums, curiosité et écœurement, les yeux glués sur quelque chose qu'ils méprisaient visiblement. Elle se servit son jus de pomme, gestes mécaniques et réguliers, elle était presque sûre que l'organisation du réfectoire était la même depuis qu'elle avait intégré les Carnes. Machinalement, elle se tourna vers sa voisine pour lui proposer de remplir son verre.

Dalia haussa un sourcil derrière la frange trop longue qui lui mangeait le visage. Pim suspendit son geste, prise de court. Jeanne était toujours après elle dans la file du réfectoire. D'un geste qui se voulait maîtrisé, elle reposa la bouteille.

« Ça va, Pim ? » demanda Zahra lorsqu'elles s'assurent à leur table habituelle.

Leurs initiales avaient été gravées sur un des rebords avec un échenilleur, un jour de grand ennui, et Pim pianota machinalement sur celles de Lou qui s'étalait sur une portion conséquente.

« Vous trouvez pas ça bizarre que Lou soit pas là, vous ? »

Elle aurait dû être là, assise à table, avec un bol de céréales dégueulasses et un sourire communicatif. Elle arrivait systématiquement la première, probablement parce qu'elle peinait à dormir, et attendait les autres le nez plongé dans un livre quelconque. Ce jour-là, pas trace d'elle, nulle part, et même si Pim se sentait soulagée, d'un certain côté, elle n'arrivait pas à chasser totalement le malaise qui l'envahissait.

« Elle est peut-être allée chez le Sycophante ?

– En début de journée ? »

Le scepticisme dans la voix d'Anush était une bouffée d'air frais au milieu de l'ambiance presque gluante du réfectoire. C'était quelque chose de concret auquel se rattraper, en tout cas, et Pim était reconnaissante pour cela. De toute façon, le scepticisme était raisonnable : Lou ne pouvait pas être à l'atelier aussi tôt et personne n'allait murmurer ses secrets avant 23 heures sonnées.

Pim ne voulait même pas penser aux secrets que Lou pouvait bien murmurer à la créature ou même imaginer ses vœux. Elle était sûre qu'elle risquait d'y trouver quelque chose qui lui déplairait trop pour que leur amitié s'en remette.

« J'ai plus faim, » annonça Zahra en repoussant son plateau encore à moitié rempli. « Allons la chercher. Clarence nous matte bizarrement.

– Il nous matte toujours chelou depuis... »

Dalia ne finit jamais sa phrase. Elles savaient toutes ce qui avait provoqué les regards de Clarence et ce n'était, contrairement à la majorité des élèves qui les suivaient des yeux lorsqu'elles sortirent de la pièce, pas la mort de Jeanne. Ou, en tout cas, pas à l'origine.

Pim, les yeux sur son téléphone à nouveau, effaçait et retapait le message qu'elle essayait de se convaincre d'envoyer à Lou.

Les Petites Croustillantes
PIMp my ride 08:17
T ou Lou ?

Lou Yétu 08:21
mdrrrr tu tkt ?

Pêche à l'Anush 08:21
Réponds fais pas ta relou

Lou Yétu 08:21
rdv à l'île Marquet

Au-dessus de son téléphone, Anush fronça les sourcils d'un air vaguement contrarié. Ce n'était probablement pas le fait de se rendre sur l'île qui la dérangeait – une passerelle, construite presque devant l'école y menait assez aisément – c'était sans doute plutôt le fait que Lou, entre toute autre personne, s'y trouve. Lou détestait les insectes, ne supportait pas de se faire piquer, et, bien que située au milieu d'une ville, l'île Marquet regorgeait de petites bêtes qui la répugnait en général : plus d'une fois, elle était restée assise à même le sol sur le pont qui passait au-dessus de l'île pour pouvoir continuer à leur parler sans avoir à risquer de tomber nez à nez avec la faune locale.

GalatéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant