Jude joue distraitement avec les aliments dans son assiette. L'immense salle apprêtée à l'occasion du mariage de Victoria et son fiancé de longue date, Brian fourmille d'invités. Pourtant, elle ne s'est jamais sentie aussi seule et démunie. Son téléphone vibre dans sa prochette. C'est surement Noah qui se demande à quoi ressemble un mariage typiquement new yorkais. Qu'il se rassure, rien de très différent de ceux qu'ils connaissent, pense-t-elle. Sur la piste de danse un couple d'adolescents se trémousse en riant à gorge déployée.
- Il habite toujours le même appartement de bourge, sur la Cinquième, lui glisse Victoria, à l'oreille.
Cette dernier fait le tour des tables, sa main entremêlée dans celle de Brian. Elle lui coule un regard équivoque et, soudain, Jude sait ce qui lui reste à faire. Elle ramasse les jupons de sa robe rose de demoiselle d'honneur et traverse la salle perchée sur ses escarpins. Elle se rappelle alors à quel point elle déteste les événements chics, le sourire forcé sur les lèvres des convives et les talons qui lui détruisent les pieds. Plus que jamais déterminée, elle pousse la porte à battants qui la conduit directement dans les rues de Brooklyn. Le vent vient lécher la peau nue de ses épaules et, elle rejette ses frissons pour héler un taxi.
Le trajet est une torture. Elle s'image une montagne de scénario. Chace dans les bras d'une blonde longiligne, Chace en compagnie de ses collègues autour d'une bouteille de vin hors de prix... Autant de scène qui ne laisse pas entrevoir la possibilité de son admission dans ce monde qui ne lui appartient pas plus que cinq ans auparavant. Pourtant lorsque le véhicule se stoppe devant ce fameux immeuble de la Cinquième Avenue qu'elle connaît si bien, elle laisse ses pieds la guider. Max, le gardien est toujours là, engoncé dans son costume et la mine sévère. Néanmoins, il se déride quand il découvre la frêle silhouette de Jude dans l'entrée.
- Mademoiselle Jude ! Je désespérais de vous revoir un jour ! Ainsi donc Monsieur Wyland s'est enfin décidé à vous contacter ! Ça me fait drôlement plaisir parce que vous savez il n'est plus lui-même depuis votre départ, un vrai fantôme !
- Non, non, rien de tout ça, juste, s'il vous plaît, laissez-moi monter, articule-t-elle à bout de souffle.
Le vieil homme lève les mains, docile puis, appuie sur le bouton de l'ascenseur. Jude le remercie d'un hochement poli de la tête puis se faufile entre les portes en fer. Le miroir qui l'accueille à l'intérieur de l'ascenseur lui renvoie une image effrayante. Ses cheveux bouclés forment un amas d'anglaises en désordres autour de son visage au teint affreusement pâle. Et, alors que le doute s'immisce lentement en elle; les portes s'ouvrent sur un Chace en piteux état.
- Chace ?
- Jude, lancent-ils en parfait accord.
Il l'aide à sortir ses couches de tulle de l'ascenseur puis reste à la fixer, hébété. Jude est heureuse de constater qu'il est seul et, vêtu de son pull en laine inconfortable. Il s'apprête à la questionner sur sa présence; stupéfait de la voir ainsi sous ses yeux après une entrevue quelques jours auparavant qui sonnait davantage comme un adieu définitif.
- On ne peut plus tourner en rond en attendant que l'un de nous deux fasse le premier pas, le coupe-t-elle. Je ne tiens pas à me retourner chaque nuit dans mon lit jusqu'à mes soixante-dix ans à me demander avec qui tu es, où et ce que tu fais. Je ne veux pas me réveiller un matin, regarder ma famille et me dire que j'ai loupé ce qui aurait pu m'apporter le meilleur ou simplement constater que ma vie est un putain de mensonge ! J'ai changé, Chace. En cinq ans j'ai achevé mes études, j'ai trouvé un boulot stable dans une maison d'édition, à Bristol et je me suis coupée les cheveux. Ma famille a également réussi à me convertir à leur obsession démoniaque pour les Rolling Stones et je dois avouer que je me sens un poil coupable à ce sujet mais...
- Jude, on a tous changé. Est-ce que tu te rends compte que j'ai un fils de bientôt six ans dont j'ai la garde une semaine sur deux ? Je ne peux plus sortir le samedi avec mes anciens amis du lycée car je me réunis avec mes collègues autour d'une table de réunion de la taille du salon de ta grand-mère. Pourtant, dans le fond il y a bien une chose qui n'a pas changé. Nous. J'ai toujours le cadeau que tu m'as offert ce fameux soir de la St Valentin et je le regarde tous les soirs en espérant me réveiller de cette existence où tu n'es plus qu'un souvenir de l'autre côté d'un putain d'océan.
Ils ponctuent leur monologue d'un regard vers l'autre. Jude reste les bras ballants et Chace attend avec impatience de voir son sourire en coin apparaitre. Qui a dit que l'on ne pouvait pas rattraper le temps perdu ?
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Quand arrivent les Rolling Stones | t.2
RomantikEn cinq ans, les décors changent, les personnes également. Mais, on ne modifie pas une histoire. Alors, Chace et Jude seront-ils capable de rattraper le temps perdu ? Ceci est le tome 2 de 'Quand chantent les Beatles'.