Woodstock

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21 décembre 1999

La dernière enveloppe qu'Elle lui avait envoyé était une lettre pleine d'inquiétude, Son fils lui causait des soucis et Son mari s'absentait. D'après ce qu'il savait c'était un homme très occupé, quand Elle venait le rejoindre sur l'île il croyait qu'elle s'en retournait voir sa famille uniquement, il l'accompagnait tout au plus deux ou trois jours, avant que son travail ne le rappelle en Métropole. Il ne se doutait de rien jusqu'à présent... Il faudrait bien de toute façon que la réalité éclate un jour et qu'Elle lui revienne, pensa-t-il. L'impatience qu'elle voulait dissimuler transparaissait quand même dans ses lettres et leur nombre témoignait du besoin pressant qu'ils avaient de se retrouver. Il faudrait qu'il descende chez lui, voir si elle ne lui en avait pas écrit de nouvelles.

Il venait de se réfugier dans les hauteurs de Saint-Leu, dans une case rebelle au milieu des couleurs de la nature, qui appartenait à un membre de sa famille. Là, la route passait au dessus de son toit mais on ne pouvait rein voir. Son voisin de gauche résidait au bord de la ravine des Colimaçons. Ce rastaquouère aux locks impressionnantes veillait sur sa plantation et l'aurait donc averti de toute intrusion. A sa droite, une jeune famille dont le père, rasta aussi, était marié à une jolie zoreille qui s'habillait toujours en hippie. Ensemble, ils avaient une petite fille prénommée Salomé qui venait jouer avec lui tout le long de la journée. En jouant avec elle, il s'était demandé si Tristan n'était pas son enfant, mais cela ne se pouvait pas, puisque dans leur amour de jeunesse il n'avait jamais fait l'amour. Puisqu'ils ne s'étaient connus qu'après qu'elle fut sortie avec le père de Tristan, lors de ses premières vacances, le jour même de son retour. Il préférait se dire que le temps jouait contre lui, de juin à décembre il n'y a pas neuf mois. Tristan n'était pas son garçon. Qui l'aurait tu? Mais dans ses songeries torturées, il oubliait que le petit Tristan qu'il n'avait jamais vu aurait été majeur.

D'ici, par les temps où les nuages veulent bien enlever leur masque, on voit Saint-Leu et les Colimaçons, la route du littoral qui devient rouge et jaune dés que la nuit tombe. On voit la fausse verdure des champs d'épines où jadis selon ses voisins le coton et la patate abondaient. On observe les villes parasites, les grues, ses équerres de fer ambulantes qui montent d'un angle chaque année, et le lagon. Jahel raconta à Salomé que tous les lagons qui longeaient la côte de l'île étaient des morceaux du dos de la déesse Indienne qui serpentait sur la côte, long dragon d'eau, dont la nageoire dorsale en remuant dessinait les vagues: l'écume sur elle, comme une crête blanche.

A proximité il y avait des lotissements.

_"Mais les gens du village de béton ne communiquent pas avec nous ; lui expliquaient les parents de la petite Salomé, ils disent que nous sommes des délinquants. Mais tu vois il n'y a pas de violence dans ces hauts, beaucoup moins qu'en ville et c'est pourquoi ils sont montés chercher la paix, mais il ne veulent pas la partager avec nous."

Le jeune père surenchérissait:

_"Si nous remontions dans l'histoire de ces contrées, bien avant même que L'ONF n'accapare la Forêt Domaniale des Bénares qui couvre une des paupières de Mafate, ces régions furent l'endroit qui abritèrent nos ancêtres marrons fuyant l'ennemi. Notre créole est plus ou moins local, et nous ne nous vendons pas à l'argent. Nous travaillons pour vivre, mais ne vivons pas pour travailler, nos pères ont déjà fui l'effort injuste et nous ne demandons qu'à vivre dans le tranquille. Mais avec les habitations, viennent tourner les vautours bleus. Ils ne sortent que les week-ends, dés le vendredi soir, et ils passent sur le chemin, cachant leur regard à leurs cibles derrière des lunettes noires. Patrick Chamoiseau dans son oeuvre intitulée Texaco raconte la Martinique et la route de la Pénétrante Ouest, c'est le seul bouquin que j'ai lu de moi-même, j'ai vu que nous ne sommes pas dans les mêmes conditions qu'eux, la route n'est pas faite pour raser notre village mais pour l'infiltrer, le morceler. Les gros zozos envahissent le territoire Marron; la terre de refuge est pénétrée par le bruit et la ville grignote la montagne immensément plus vite que la mer le basalte."

HaschischinWhere stories live. Discover now