Deuxième Partie

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L'Heure Hash

XVIII

Les arcs-en-ciel,

Ponts de couleur entre terre et mer,

Pleurent éternellement.

De sous leurs voûtes

Quelques gouttes de lumière tombèrent sur des hommes

Prirent vie dans leurs corps

Les poussèrent vers l'harmonie du tout

Vers l'éclat du parfait.

Ces hommes qui mélangent les couleurs de Leleya

Peignèrent des grottes

Peignent des toiles.

On raconte qu'aujourd'hui encore

Quelques uns sur des barques perdues

Voguent sur la mer

Avec de grands bâtons pareils à des pinceaux.

Hommes du rêve

Qui ne pensent qu'en couleur

A la recherche des pluies d'écailles

A la recherche du Pont.

JAHEL

in Le Zeugma, I Cynfark & Leleya, Chant XVIII.


22 décembre au matin.

La mer semblait plus haute encore que la falaise et sur la ligne d'horizon, une masse de nuages, volumineuse, uniforme au dessus de l'océan, peignait dans le bleu matinal du ciel comme un pays cotonneux, vaste à souhait, dont les montagnes blanches à leurs sommets doraient sous les rayons du soleil. Le vent venait du large et secouait les arbres côtiers : quelques filaos épars, penchés, s'élevant du roc. Il s'engouffrait sous la falaise. De petites vagues frappaient l'avancée de basalte noire qui séparait le bassin de la mer et parfois, passaient de l'autre coté. Le vent claquait la surface du Bassin 18, poussant l'eau, sous le pont, contre les roches lisses et grises, si bien qu'elle ressemblait à une carapace de dragon, sertie d'écailles liquides et mouvantes.

Eva pleurait, assise sur une roche de la falaise, perdue dans ses voiles en dentelles qui s'étiraient dans l'air et Tolliam derrière elle, fixant le cercueil devant ces rails en bois, construits la veille et qui s'avançaient au dessus du vide, avec un regard saisissant. C'était un rectangle en bois massif, alourdi de plomb, sans sculptures ni ornements, monté sur quatre petites roues en fer. Trois autres hommes étaient là aussi, les trois frères du défunt, tous dans cette même attitude de recueillement, tous blessés au plus vif de l'âme, perdus sous leur sombre costard, empreints d'un sérieux indissociable de leur tenue. K la veuve était un peu à l'écart et tenait son chapeau de peur qu'il ne s'envole. Jahel arriva enfin, il descendit le sentier. Son manteau claquait dans le vent et sa barbe même suivait le sens du souffle. Il portait toujours son même vêtement noir et ses bottes poussiéreuses. Pour une fois, il n'avait pas mis de chapeau. Tolliam découvrait l'homme, il avait bien le type malgache et une longue barbe tombait sur sa poitrine, blanche, blanche comme de l'ivoire. Kalo lui en avait souvent parlé comme d'un quadragénaire charmant aux manières rudes affranchies des politesses sans lendemain; mais il ne comprenait pas pourquoi il avait une barbe de vieux. Il salua les frères, embrassa la veuve et fit un signe à Tolliam. Puis il se tourna vers Eva qui pleurait encore et lui prit la main.

HaschischinWhere stories live. Discover now