Ils s'installèrent dans le salon, disputant quant au futur de la rébellion autour d'un punch bibasse. Juste à coté, dans la chambre, Eva était trempée de sueur, flottant dans un demi-sommeil, elle rêvait, rêvait d'une chambre... sa chambre... Mon lit, mon père; elle s'entendait rêver. Mon père étalé de tout son long prés de moi, vivant. Le temps est maussade pour ne pas dire orageux et nous, nous regardons une émission...nulle...trop nulle. Bizarrement je n'attache plus d'importance à la pièce, une atmosphère lugubre, troublante plane autour du lit à étage. Alors mon regard bloque sur la fenêtre, la seule de ma chambre. Mon père, lui, semble passionné par ce reportage sur n'importe quoi. De toute façon je m'en balance; mon esprit est ailleurs, loin, trop loin de cette fausse réalité. Et cette ambiance, je le sens, qui me pèse. Pourquoi cette angoisse? Je vois des nuages sombres, lourds, menaçants, cette angoisse qui grandit, j'ai peur. La terreur siffle aux portes de mes oreilles et je serre l'oreiller. J'ai peur, là oui j'ai peur, sans que je ne m'en rende compte ma main cherche un appui, une arme, je ne sais; n'importe quoi qui exorciserait cette peur. Mon père, papa oui, toi seul peut m'aider. Je me retourne vers lui, il n'est plus là, la neige sur l'écran brouillé s'éteint et la nuit s'engouffre dans la salle. L'ombre a tout envahie, elle est maîtresse à présent et dans ce ciel où mes yeux sont perdus je vois la danse macabre des nuages. La pluie comme des couteaux lacère la terre. Un vent comme une grande claque, venu de nulle part, projette mon lit contre la fenêtre, le dehors m'aspire, mais je suis bloquée, le lit ne passe pas et écrase mes membres. Mon Dieu cette violence, cette violence aveugle, j'ai les os qui se brisent; et ce cri que je lâche et qui ne veut pas s'en aller. Devant moi la civilisation a laissé place à une étendue de terre en friche, sale, dévastée, horrible. Ma raison s'affole, je m'affole et les nuages dansent, tournoient, s'assemblent les uns aux autres. Non, non, qu'est ce qu'ils forment? Non! Dans le ciel je croise la mort du regard...un crâne gigantesque, massif, sculpté dans une tonne de nuage, ses orbites dénoyautés sont noirs et profondément glaciaux...d'où vient-il, ce n'est pas vrai, il n'existe pas. Mais il me fixe, il sourit. Il faut que je me réveille avant que les ténèbres de ses cavités ne m'aspirent. Et là, là, qu'est ce qui s'élèvent? Deux siphons de chair humaine, happant dans leur tornade les hommes en fuite, d'où sortent-elles? Tous ses cadavres fondants qui me tendent des mains squelettiques alors que la peau de leur paume est arrachée, ces colonnes visqueuses, dégoulinantes de sang et de bile, toutes ces vies et moi, moi aussi elle m'aspire... D'un bond, elle se leva, ce n'était qu'un cauchemar. Elle but le verre d'eau et reprit sa respiration.
Ils passèrent tous le reste de la soirée dans un état léthargique, Jahël fit à manger, et Tolliam la tenait contre lui, entre ses bras elle se sentait mieux. Blottie. Demain les hommes devraient aller à la réunion du Conseil, elle resterait ici pour ne pas s'énerver davantage. Elle avait peur pour l'avenir de l'île, et personne ne voyait qui aurait pu remplacer Kalo, son charisme dictatorial, sa logique historique, ses prises de décisions, sa fermeté. Le bateau, à présent, allait à la dérive. Ils se couchèrent tôt, tous épuisés. Tolliam eut du mal à dormir, il se demandait s'il en était de même pour Jahël. Il regardait Eva.
Dehors, le vent, le brouillard qui camouflait un peu la lune pleine. Il s'assoupit un peu et aussitôt plongea dans d'affreux cauchemars, ou des monstres freudiens jaillissaient de partout, dansant macabrement autour de lui. Humilié, petit, sous leurs rires. Il se protégeait des coups de leurs insultes. Et, dans son sommeil, il pleura quand il entra dans une serre qui lui appartenait pour n'y voir qu'un jardin stérile.
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Haschischin
FantastiqueOcean Indien. Ile de La Réunion. Jahel, un jeune activiste créole croise la route d'un homme étrange qui lui fait fumer une herbe divine. L'histoire de la création de l'île, et du monde, lui est alors révélé. Commence alors l'initiation de la fille...