Chapitre 5

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Owen savait la lettre en chemin et c'est avec un sourire à peine dissimulé qu'il suivit celui qui menait à la salle à manger. Il s'installa au bout de la table à la place qu'occupait habituellement son oncle puis se mit à détailler chaque personne attablée autour de lui. Robbie et sa femme à sa gauche, Rosie à sa droite, quelques autres invités qui repartiraient dans la journée et un peu plus loin Lady Weminger et son fortuné mais infidèle époux.

- Monsieur de Baucay ?

- Oui ? se tourna-t-il vers son amante, étonné d'entendre son nom devant un auditoire dans la bouche insolente de cette précieuse.

- Vous occupez la place de votre oncle, il me semble.

Jouait-elle à lui rappeler les bonnes manières ? A l'humilier en public ? Robbie la dévisagea sans aucune gêne, outré qu'une personne du rang de Lydia puisse faire des remontrances publiques. Les discussions aristocratiques étaient plus spécialisées dans l'hypocrisie d'habitude. Pour autant, Lady Weminger ne lâchait pas Owen des yeux. Elle le sermonnait tout en le gratifiant d'un regard des plus lascifs, souvenir de la longue nuit passée en sa compagnie.

- Et donc ? s'enquit-il tout en remerciant d'un signe de la main le domestique qui lui servait un peu de boisson.

- Là n'est pas votre place.

- Elle a raison, il existe certains codes de bienséances, Monsieur, bougonna son mari.

Owen ne tint pas compte de la remarque de l'époux trompé et regarda avec la même intensité la belle Lady Weminger que la chevelure blonde et les yeux tout aussi clairs rendaient réellement captivante.

- Et pourquoi ne serait-ce pas à moi de choisir la place que je veux occuper dans ce monde ? sourit-il avec ironie.

- Parce que le titre s'en occupe à votre place, répliqua le baron Burnett qui détestait toujours autant cet homme impertinent et séducteur, à la limite de la décence quelquefois.

- Un jour, mon bon ami, votre titre aura autant de valeur qu'une fille sans vertu.

Le baron dût évidemment se retenir de se jeter au cou de ce diabolique aristocrate qui faisait une allusion à l'aventure qu'il avait eu avec sa fille, l'air de rien, au beau milieu d'une foule qui avait les yeux rivés sur lui. Owen, lui, était fier de son jeu de mots tout particulièrement adressé à l'énervé au bout de la table. Tout sourire, les gens qui l'entouraient en faisaient autant, amusés par la pique osée que venait de recevoir cet avare de baron que personne n'appréciait réellement. Il n'avait pas la bonté, pas le rang, ni même l'argent. Tout le monde se demandait ce qu'il faisait encore ici à se pavaner au domaine Hestmint, lui et sa fille à la chasteté envolée, mais personne n'osait rien dire. La bienséance empêchait les gens de dire ce que leur cœur criait. Tous étaient aussi au fait du comportement subversif du jeune Owen de Baucay et personne ne semblait s'en offusquer, sans doute par habitude du comportement bien plus nonchalant de son oncle lassé par la vie et ses codes restrictifs.

- Pourriez-vous apporter les plats ? proposa Rosie pour alléger l'atmosphère.

En effet, le baron suffoquait, les autres nobles se moquaient de lui à gorge déployée et Lady Weminger et Owen se livraient à un jeu de pouvoir que seul leur regard trahissait. Les plats arrivaient sur la table et tout le monde se servit avec un appétit à peine dissimulé.

- Lord Riverfield, sa femme Lady Riverfield et leur fille Miss Charlotte Riverfield, annonça un domestique.

Deux autres valets ouvrirent la porte en face d'Owen et arrivèrent le couple suivi de leur mystérieuse fille dont les prunelles vinrent directement chercher celle du pauvre Monsieur de Baucay pour s'y implanter sans lui laisser le temps de contrer cette attaque.

IridescenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant