Chapitre 15

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Les mots d'Ellen étaient clairs, limpides et ne donnaient pas sa chance à une quelconque tentative de négociation. Owen aurait pu la supplier à genoux, baiser tendrement ses mains une centaine de fois chacune, elle n'aurait pas cédé. Tout d'abord, même si elle savait l'estime qu'il lui portait, il l'avait profondément vexée. De plus, il ne devait plus fuir devant Robbie et encore moins pour retourner chez elle. Son inclination était si grande qu'elle peinait à la garder secrète. Si Owen revenait ce soir, elle ne pourrait plus cacher ses sentiments. C'était déjà quasiment peine perdue ... Le cocher donna un coup de cravache à ses chevaux et la calèche s'éloigna. En face d'elle, sur l'autre banquette, se trouvaient les toiles. Si elle n'avait pas Owen, elle avait au moins à cœur d'en faire connaître l'esprit. Une larme roula sur sa joue. Elle sacrifiait tout pour un homme qui faisait vibrer la moindre parcelle de son corps. Comment un lien aussi puissant pouvait-il être à sens unique ? Ses pensées la rongeaient à petit feu, faisant mijoter ses désirs dans une marmite d'inaccessibilité. L'heure de route jusqu'à Hestington, face aux tableaux, allait être longue. Elle aussi aurait aimé avoir son portrait.

La nuit fut rude pour l'un comme pour l'autre. Ellen endurait sa peine en silence pour tenter de l'amoindrir tandis qu'Owen se murait dans sa chambre. Il souhaitait éviter une tonne de monde, s'éloigner de l'humain en général. Noyant ses remords dans un whisky, il se hasarda tard dans la nuit à écrire une lettre pour son mécène. Lord Weminger devait absolument être présent au dîner qu'Ellen préparait en son honneur. La lune sembla rester moins longtemps dans le ciel mais les brouillons furent pourtant plus nombreux au sol. Owen arriva au petit-déjeuner d'humeur maussade, ce qui ne manqua pas d'étonner les convives. Lui qui incarnait la joie de vivre, la désinvolture et le cynisme allait mal et personne ne pouvait ne pas s'en apercevoir. Son frère lui jeta des regards assassins pendant plusieurs minutes et Lady Weminger ne cessait de le dévisager, l'air contrit. Que se passait-il donc à Hestmint ?

- Owen ? murmura une voix à ses côtés.

- Quoi ? agressa-t-il la pauvre Charlotte qu'il n'avait pas encore remarquée.

- Tu n'as pas l'air d'aller bien ! Où étais-tu donc passé ces jours-ci ?

Owen tourna alors la tête, reconnaissant la voix suave de sa féline amante. Ses cheveux de feu reposaient en anglaises sur ses frêles épaules, enfin libérés de leur carcan d'épingles. Il se radoucit aussitôt à la vue de cet ange. Cette chimère pouvait attendrir les esprits les plus vils. L'audacieuse emprisonnait Owen de son regard alors qu'il rêvait de passer à son annulaire l'anneau du mariage. Que n'aurait-il pas donné pour elle ? Quels efforts n'aurait-il pas fait pour combler sa muse, pour espérer être l'objet de sentiments réciproques ?

- Robbie ne t'a donc rien dit ? chuchota-t-il dans l'oreille de la belle.

- Il ne savait pas où tu étais ! Tu aurais d'ailleurs dû l'en tenir au courant ! Nous nous sommes inquiétés, lui reprocha-t-elle dans un murmure.

- Toi peut-être, lui non.

- Que racontes-tu donc ? s'offusqua-t-elle.

- C'est lui qui m'a mis dans une telle colère que je n'ai pas vu d'autre alternative que celle de fuir du domaine.

- Il m'a dit que tu avais été insultant avec lui.

- Et tu l'as cru ?

- Un jeune frère se doit d'être sous la tutelle de son aîné et d'obéir à ses requêtes.

- Sauf quand l'objet de sa demande, c'est toi ! haussa-t-il le ton.

- Pourriez-vous nous faire part de vos messes basses, jeunes gens ? s'enquit Lady Weminger, un éclair malsain dans le regard.

IridescenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant