Chapitre 19

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A peine Owen fut-il arrivé à Paris que les mondanités débutèrent. Le soir même, ces tableaux étaient exposés dans le salon réservé par Monsieur de Daubépin. Tout le beau monde y était convié et tous semblaient déjà connaître l'histoire de ce marquis français expatrié à Londres, neveu de l'un des plus grands aristocrates britanniques, souhaitant refaire sa vie dans son pays natal à l'aide de ses toiles toutes plus avant-gardistes les unes que les autres. Arthur s'en était assuré : son poulain serait accueilli en grande pompe dans la Ville des Lumières. Il avait enjolivé une histoire déjà bien édulcorée par le peintre lui-même et toute la bourgeoisie voyait en Owen le parti idéal. Le nouveau mécène, vieil ami de Lord Weminger, avait fait de son élève un mythe, n'hésitant pas à préciser que son cœur était encore à prendre et que son éloquence pouvait rivaliser avec celle des politiques les plus démagogues. Autrement dit, n'importe quel parisien voulait voir de ses propres yeux cet artiste aux qualités innombrables, à l'âme belle et au talent ineffable. Ce dernier était devenu la personnalité incontournable de la capitale française.

Owen de Baucay s'en rendit compte dès le premier vernissage. La foule qui l'entourait ne tarissait pas d'éloges et le regard d'Arthur pesant sur lui, il sût qu'il avait tout intérêt à se montrer à la hauteur de cette nouvelle réputation bien plus honorifique que la précédente. Aussi, il répondit sans restriction à chaque journaliste et bavarda avec les visiteurs afin de faire étal de sa sympathie et de son sens de l'humour inné. Le mystère à l'assiette remporta un succès faramineux, bien qu'il fût controversé par grand nombre de Classiques refusant d'emblée l'aspect novateur de cette toile bien plus artistique que n'importe quel portrait. Celui de Charlotte fut tout autant acclamé, la beauté du modèle faisant jalouser la moindre femme. Celui d'Emily eut aussi son moment de gloire, bien sûr, mais que faire contre une nantie au visage enchanteur et l'histoire d'une rencontre pleine d'évidences ?

- Ce vernissage était exceptionnel ! clama Arthur une fois que les portes du salon furent closes. Et tu as été parfait, Owen ! Acceptes-tu que je te tutoie d'ailleurs ?

- C'est déjà chose faite, acquiesça le peintre.

- Bien ! rit doucement le mécène. Fais-en de même à mon égard.

Heureux du succès de ses toiles, Owen aurait pu tout accepter aujourd'hui, accorder toutes les faveurs.

- Bon, il se fait tard et il serait ingénieux que nous retournions à l'hôtel nous reposer. Bien que nous ayons une journée de libre demain, je te veux en pleine forme ici-même le lendemain. Nous continuerons cette exposition

L'ancien ébéniste acquiesça. Il était exténué. Cette soirée, aussi folle soit-elle, avait été bien longue. Aussi, son lit lui manquait plus que de raison. De plus, il avait des projets pour le matin suivant. Le domaine familial n'était qu'à quelques lieues de là et il se devait d'aller y faire un tour. Bientôt, il serait rémunéré pour son Art et aurait sûrement de quoi rembourser une grande partie des dettes accumulées par son père. De toute les inventions d'Arthur, une chose était vraie : Owen voulait retourner vivre en France. Il fallait qu'il récupère les pleins droits sur sa demeure, et vite.

Le lendemain, alors que les rayons chatoyaient, l'horloge sonna sept coups, réveillant le marquis. Il se prépara et une heure plus tard, il était à cheval, galopant à travers les bois, faisant fi des routes pavées. Quand il arriva enfin devant chez lui, le monde sembla s'arrêter de tourner. Le château, entouré d'un grand bassin d'eau, se dressait jusqu'aux cieux. Les tours étaient hautes et larges et la mousse avait pris ses marques sur certains pans de murs. Chaque brique semblait prête à relater son histoire et le pont de pierre liant l'entrée à la berge avait été foulé par plusieurs générations de Baucay, tous aussi fervents hédonistes que leur successeur qui se tenait désormais devant cette massive demeure, tout chancelant, comme écrasé par le poids du passé de toute sa lignée. Les souvenirs d'Owen s'en donnaient à cœur joie, lui rappelant sa douce enfance et les baignades interdites dans les douves avec son grand frère. C'était la bonne époque.

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