Chapitre 22

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- Nous sommes arrivés, Monsieur.

En effet, le cocher venait d'arrêter le fiacre après plusieurs heures de cahot interminable. Owen, qui n'avait pas cessé de relire la lettre d'Ellen en tentant d'y dénicher quelques indices sur le lieu où elle se cachait, prit une grande inspiration quand il sut que seuls quelques pas le séparaient de sa mère. Il était de retour à la maison et déjà les nuages noirs se profilaient à l'horizon, comme si le temps était en adéquation avec son état d'esprit morose. L'on vint lui ouvrir la portière et il n'eut plus d'autre choix que de descendre de la voiture. Devant lui, toujours le même foyer, les mêmes briques proéminentes qui désiraient s'extraire des murs décrépis, les mêmes masures mitoyennes s'affaissant sur la sienne. Les volets de sa chambre étaient clos, mais ceux de l'étage inférieur étaient bel et bien ouverts, laissant s'échapper râles et gémissements. La malade ne devait pas être si mal en point, ou bien les méthodes du docteur n'étaient pas très orthodoxes.

- Je crois que nous nous sommes trompés d'adresse. Voulez-vous que j'en informe de suite le cocher ? s'enquit René en rejoignant le marquis hors du véhicule sur la route pavée.

- Non, c'est bien ici. Voici mon hôtel particulier. Vois de tes propres yeux comme ton vouvoiement n'est que pure sottise. Tutoie-moi, mon ami.

Le domestique qui avait été sous la coupe de Lord Hestmint depuis qu'il avait été mis au monde n'était lui-même pas habitué à un train de vie si misérable. Aussi, il n'y comprenait plus rien. Quand son père occupait un emploi au domaine de l'oncle, lui s'amusait avec Owen dans les jardins et les couloirs. Jamais il n'aurait pu deviner que ce petit garçon, qui s'acclimatait parfaitement du code de conduite de l'aristocratie londonienne, deviendrait un jeune homme logeant dans un taudis délabré.

- Mais n'es-tu pas marquis ? s'étouffa presque René.

- Si, et cela te montre à merveille à quel point la vie sur le papier n'est qu'un lot d'inepties.

- Je ne comprends pas ...

- Je suis marquis, oui, mais je n'avais pas la fortune destinée à mon rang. Pendant que tu travaillais dans les couloirs du château de mon oncle, je me baladais sur les docks avant d'aller à l'atelier pour continuer mon enseignement d'ébéniste. En somme, si tu n'es qu'un simple valet, je suis un misérable mendiant.

- Ne te déprécie pas ainsi, s'offusqua l'ami. La richesse, c'est dans l'âme qu'on la compte le mieux. Et si l'on raisonne ainsi, tu es un prince.

Owen se tourna vers son camarade et lui rendit le sourire réconfortant que ce dernier lui lançait.

- Ne t'en fais pas, je n'en parlerai à personne ! l'assura-t-il pour rassurer encore un peu le peintre qui rougissait.

- Merci René, merci pour tout. Et puis, après tout, tout ceci est bientôt terminé.

- C'est-à-dire ?

- Je viens conclure quelques affaires. Maintenant que mes toiles peuvent subvenir à mes besoins, que les dettes sont remboursées, que je suis à nouveau légitime d'être nommé Marquis, ma vie va prendre un nouveau tournant. Le second tome de mon destin commence tout juste à être écrit et je veux que l'histoire se déroule en France. L'Angleterre abrite trop de mauvais souvenirs, Hestington fut ma seule échappatoire. Mes racines m'appellent. Et si le cœur t'en dit, mon bon ami, tu pourras faire partie du voyage.

Après cette proposition qu'on ne fait pas deux fois, Owen salua cocher, laquais et valet avec effusion avant d'entrer dans la mansarde de la marâtre. Il plongeait dans la gueule du loup, pour tenter de mettre un point final à cette partie misérable de son existence. Comme un vent glacé, les courants d'airs vinrent tétaniser ses os, l'empêchant d'avancer. Telle une tour biscornue, les murs de la maison s'érigeaient vers le ciel sur deux étages. Sur la pierre ricochaient les soupirs indisciplinés de sa mère alitée se faisant ausculter. Des haut-le-cœur vinrent faire écho aux désirs assouvis qu'il entendait. Il chercha de quoi focaliser son attention quelque part mais sa malle de vêtements avait déjà été montée dans sa chambre et le salon était impeccablement rangé. C'était peut-être la seule qualité de sa génitrice : elle était terriblement méticuleuse. Mais elle n'était pas aussi propre dans ses paroles et il craignait l'altercation qui allait suivre. Aussi, il tenta de débusquer un autre moyen de retarder son entrée dans les appartements du dragon, mais il n'en trouva point. Alors, il monta à l'étage et frappa à la porte du donjon. Puis, n'ayant aucune réponse, il entra. Plus vite il en aurait fini avec elle, plus vite il pourrait passer à autre chose mentalement. Ensuite, il lui faudrait sûrement attendre octobre.

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