Chapitre 23

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Le bruit des pas de la serveuse sur les marches grinçantes de l'escalier et le claquement de la porte d'entrée firent sursauter Owen. Jamais il n'avait traité une femme de cette façon. L'incorrection dont il avait fait preuve allait à l'encontre même de tous ses principes. Que se passait-il dans sa tête ? Pourquoi son âme l'étouffait-elle de l'intérieur ? C'était à n'y plus rien comprendre. Il se sentait vide, perdu. Plus rien n'avait de sens, tous ses piliers s'évanouissaient et la vie sonnait comme un gigantesque huis clos dont il ne pourrait pas s'enfuir avant de longs jours. Alors il lui fallait briser cette routine qui s'immisçait sans crier gare. Le soleil étant levé depuis peu, il prit la sage décision de se préparer au lieu de rester cloîtré dans sa chambre. Une demi-heure plus tard, il était en route pour l'ébénisterie. Il était temps de tourner la page.

- Owen ! le salua son maître lorsqu'il vit l'apprenti entrer dans l'établi. Tu es revenu plus tôt que prévu !

- Oui Samuel. Je ne vous dérange pas ?

- Pas le moins du monde. Viens, entre.

Monsieur Rent n'était pas bien grand. Mince, les joues creusées, le teint livide, on aurait facilement donné soixante ans à ce quadragénaire. Il avait pour seule famille sa femme qui logeait dans l'appartement au-dessus de l'atelier de son époux. Le couple n'était pas riche et n'était jamais parvenu à avoir un enfant. L'ébéniste portait donc sur son physique les marques de l'infortune mais ne manquait jamais de sourire à ses clients et amis.

Voyant la mine affligée d'Owen, il lâcha ciseau et morceau de bois puis l'invita à se joindre à lui. Il y avait dans le coin de la pièce une table construite de ses mains, sur laquelle trônait un bout de pain noir et une cruche d'eau. L'apprenti et son maître s'assirent l'un en face de l'autre et Samuel offrit de quoi boire à Owen.

- Tu m'as l'air chagriné, mon petit. Que se passe-t-il ?

- C'est vrai que ça ne va pas fort, sourit Owen d'un air contrit. Et je ne viens pas avec de bonnes nouvelles.

- Ta mère est morte ? s'enquit le maître inquiet.

- Si ce n'était que ça, plaisanta l'apprenti qui avait déjà informé son patron des relations compliquées qu'il entretenait avec sa génitrice.

- Alors qu'y a-t-il Owen ?

- Je viens vous annoncer ma démission, répondit-t-il alors de but en blanc.

Les yeux de l'artisan s'embuèrent instantanément. Owen avait été le fils qu'il n'avait jamais eu. Il connaissait ce gamin depuis bientôt quatre ans et avait été son confident et son ami avant d'être son patron. Il payait l'enfant plus que de raison, lui offrant parfois le logis quand la marâtre l'empêchait de rentrer chez lui. Ces quelques années défilèrent sous ses yeux et le triste film de ses souvenirs vint lui arracher une larme que l'apprenti n'aurait pas pu prévoir.

- Samuel, je suis désolé mais ... bredouilla Owen en sentant la culpabilité monter en lui.

- C'est rien, mon petit, c'est rien, répondit Samuel en tentant d'essuyer sa tristesse en vain.

- Ce n'est pas contre vous, je vous assure ! Seulement, j'ai enfin l'occasion de vivre de ma passion et de retourner vivre en France.

- Pardon ?

La stupéfaction vint sécher les pleurs de l'ébéniste. Il savait à quel point Owen voulait vivre de ses toiles et ne pouvait pas souhaiter mieux pour son protégé.

- Je suis devenu un peintre émérite à Londres et à Paris. En octobre, je parcourrai l'Europe pour présenter mes tableaux.

- Mais que je suis heureux pour toi ! se leva Samuel ne pouvant dissimuler sa joie. Est-ce vrai ? Ne me fais-tu point marcher ?

IridescenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant