Chapitre 1 - Tout Commence...

928 9 4
                                    

1 - En Russie

D'aussi loin que je me souvienne, nous habitions toutes les trois avec nos grands parents dans une petite maison en bois rouge vif. (Mon petit frère n'était pas encore né, ma mère n'était jamais à la maison et notre père ne nous avait pas reconnu).

Notre petite maison avait un salon avec une télévision et deux lits que nous partagions à nous cinq.

Je me souviens également d'une petite cheminée dans le couloir et qu'il ne fallait surtout pas approcher.

Grand mère n'était pas très gentille sauf quand elle était saoule. J'avais tellement peur d'elle qu'il m'arrivait la nuit de me réveiller à ses côtés en grelottant de froid, mais il m'était impossible de lui prendre un petit bout de couverture sous peine de se faire pincer.

Mais quand elle avait bu, elle devenait merveilleusement agréable. Elle nous faisait alors goûter une sucrerie Russe, sorte de petit carré de sucre aromatisé qui fondait sur la langue, c'était un très bon souvenir. J'ai pu le goûter à plusieurs reprises en France, mais le goût que je trouvais jadis si délicieux me paraît maintenant beaucoup trop sucré et écoeurant.

J'aime ce bonheur de pouvoir goûter à nouveau les plaisirs de mon enfance. J'ai juste à fermer les yeux pour qu'un aliment me rappelle un souvenir précis. C'est fou comme les souvenirs gustatifs peuvent être forts.

Mon grand père, je ne m'en souviens plus vraiment. La seule chose dont je me rappelle c'est qu'il était souvent couché devant la télévision et alors qu'un soir nous étions rentrées un peu plus tard avec mes soeurs, il nous avait puni en nous frappant avec une bûche. Je crois que nous avions bien compris la leçon.

Ma maman ?

Svetlana Kochneva. Je sais qu'elle était jeune, mais je n'ai pas beaucoup de souvenirs d'elle. Ce qui a souvent été dur. J'aurais aimé ne serait-ce qu'avoir une toute petite photo.

Elle est née le 30 janvier 1969 et elle est décédée le 27 septembre 2004, à l'âge de 35 ans.

J'ai longtemps envié les personnes qui peuvent s'identifier à leurs parents.

À quoi ressemblait-elle ?

Pour le savoir, il m'arrive de piocher les souvenirs auprès de mes soeurs. Mais pour moi, elle a totalement disparu de ma mémoire.

Je sais qu'elle était si belle, la plus belle à mes yeux. J'étais tellement admirative d'elle, même si la plupart du temps elle était absente de ma vie.

Je me souviens être rentrée un jour dans la salle de bains et être tombée sur cette scène où elle était en train de se couper les veines avec cette toute petite lame de rasoir. Les secours sont arrivés et je me souviens avoir couru derrière le fourgon en criant : « rendez moi ma maman ! ». J'étais tellement inquiète pour elle et en même temps tout ça me dépassait d'une certaine manière.

Elle buvait sans doute pour oublier, quatre enfants à gérer sans un sous ...

Quel avenir pouvait-elle nous offrir, souffrait-elle de cette situation, que faisait-elle quand elle n'était pas là ?... Beaucoup de questions qui resteront sans réponse.

Je lui en ai longtemps voulu de son absence... Mais au fond je comprends que la situation dans laquelle elle se trouvait n'avait rien d'un conte de fées.

Je n'ai pas d'autres souvenirs avec elle, si ce n'est notre dernier échange téléphonique à l'orphelinat. Aujourd'hui, je sais par mes soeurs qu'elle est décédée à l'âge de 35 ans ... en emportant avec elle, le reste de mes souvenirs.

Nous passions la plupart de notre temps dehors, à chercher ce qu'on pouvait manger. Mes grandes sœurs allaient à l'école au village et quand elles mangeaient à la cantine, elles vidaient tout le repas dans un sac en plastique pour pouvoir partager avec tout le monde à la maison. Je me souviens surtout de la purée dans un petit sac en plastique. Nous avions peu mais tout devenait tellement bon.

Nous n'étions pas bien âgées mais on se construisait seules, avec tous les accidents qu'un enfant ne peut voir arriver.

Ce jour là je suivais mes deux sœurs qui allaient à l'école. Je courais derrière elles mais j'ai du m'arrêter car quelque chose avait attiré mon attention. Le temps de quelques minutes mes soeurs étaient déjà bien loin devant moi. J'ai voulu courir pour les rattraper, j'ai traversé la route sans me soucier de quoi que ce soit et je n'ai que le souvenir de cette voiture qui fonce sur moi.

S'en suivi le réveil à l'hôpital, où on me répète que j'ai eu beaucoup de chance... J'ai eu des soucis au niveau des hanches, mais j'étais passée à côté de quelque chose de bien plus grave. Là encore, à plusieurs reprises, je me dis que même si je n'avais pas de maman à mes côtés, j'ai eu depuis toujours un ange gardien avec le coeur bien accroché.

Et cette autre fois où j'ai voulu aussi suivre mes soeurs qui allaient jouer chez les voisines. Je crois qu'elles m'ont dit d'attendre au niveau du portail de cette petite maison mais j'étais bien trop impatiente pour ça.

Il y avait une petite allée et deux gros chiens que j'avais tellement envie de caresser que j'ai entrouvert le petit portillon, insouciante du danger... Là encore je n'ai que le souvenir de mon réveil à l'hôpital, l'un des deux chiens m'avait sauté dessus et mordu à plusieurs reprises. J'en garde plusieurs cicatrices mais heureusement peu visibles. Cet incident ne m'a absolument pas traumatisée.

Je me souviens aussi ce jour où on coupait du bois. Olga, une de nos voisine, a demandé à Natalia de tenir la bûche pour qu'elle puisse la couper, mais elle a dérapé et lui à coupé le doigt... Je me souviens que ma soeur était dans un état d'euphorie, malgré le sang qui coulait partout, avant de finir par s'évanouir. On hurlait dans tous les sens, Natalia est morte !!!

On en a vécu tellement en si peu de temps, que tous ces souvenirs laissent des traces indélébiles. Mais je pense que ça nous a aussi permis de nous endurcir par la force des choses.

Quand je raconte tout ça, j'ai le sentiment que cette vie ne m'a pas appartenu. Que j'ai vécu ces choses, mais dans une vie qui n'était pas la mienne.

Je n'ai jamais caché que j'avais été adoptée. Pour moi c'est une force et une chance inouïes et je n'ai aucun mal à aborder ce sujet.

Souvent on me dit « ça doit te faire de la peine » ... Non, du tout. Honnêtement, comme je le disais, je raconte tout ça comme je l'ai vécu, mais je suis détachée de cette vie qui aujourd'hui ne me semble être que pure fiction.

Entre Deux Rives  Où les histoires vivent. Découvrez maintenant