Chapitre 20

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J'étais reboostée à bloc avec le sentiment que je pouvais à nouveau respirer à pleins poumons.

J'avais certes une maladie chronique, mais je n'étais pas condamnée à mourir dans les quelques jours qui suivent.
Je pouvais continuer mon travail tout en suivant mon traitement qui n'était pas trop contraignant : une seule prise à la même heure et aucun effet secondaire trop important. J'étais ravie.

J'avais une autre approche de la maladie, je pouvais vivre avec le cancer tout en continuant de vivre le plus normalement possible et me fondre dans la masse sans difficulté. Une chose que je pensais jusqu'alors impossible.
Parfois au contraire, j'aurais aimé que ce soit marqué sur mon front que j'étais malade...
Car quand la fatigue et les douleurs me rattrapaient, il m'était plus difficile de me faire entendre.

On fêta cette victoire tous les trois, en se réjouissant de cette bonne nouvelle. Je serrais ma fille le plus fort possible dans mes bras, en me jurant que je ne partirais pas de si vite.
J'avais parcouru des montagnes russes vertigineuses et je soufflais enfin de ce cadeau que m'offrait à nouveau la vie.

Je continuais mon travail à temps plein sans trop de mal. Parfois j'étais beaucoup plus fatiguée que d'autres, mais je ne l'ai jamais mis sur le compte de la maladie.
Prendre soin de l'autre, soigner un corps malade tout en vivant ma maladie au quotidien, me donnait un sentiment de fierté qui me faisait du bien.

J'aimais mon métier autant que je le pouvais, même si les conditions étaient parfois difficiles. Dans mon petit service, je n'avais pas trop à me plaindre.

Je m'épanouissais pleinement et les personnes âgées me donnaient beaucoup en retour : leur personnalité, leur sourire, leur bien-être et leurs souvenirs qu'ils partageaient avec moi à cœur ouvert, enrichissaient mon parcours.

Je me souviens particulièrement de cette dame qui me suivait en permanence en répétant sans cesse les mêmes phrases.
Elle était assez grande pour son époque, portait des longues robes fleuries, elle avait une petite coupe courte et de jolis cheveux blancs et fins. Elle me parlait en regardant par-dessus ses lunettes en me fixant longuement. Je me souviens encore de son regard et de ses yeux gris clair.
"Marguerite".
Un soir, tandis que je l'avais aidée à se coucher à maintes reprises, elle me rejoint en salle de soin.
On pouvait deviner ses pas à des kilomètres.
Elle faisait traîner lourdement ses pantoufles sur le sol.
- Qu'est-ce que vous faites, me demanda-t-elle ?
Elle s'était entièrement rhabillée, la chemise de nuit par-dessus la robe, le peignoir en guise de veste et deux chaussettes dépareillées.
- Je vais être en retard pour l'école il faut que je parte. Je veux aller aux toilettes ! Qu'est-ce que vous faites ?
Aucune de ses phrases n'avaient de sens chronologique et la maladie lui créait des angoisses, dans un ordre anarchique.
Chacune des personnes âgées que j'ai pu accompagner et soigner, avaient des personnalités bien à elles et la maladie les atteignait de manière différente. Mais ils étaient tous terriblement attachants.
Aucun jour ne ressemblait au précédent.

Ma fille faisait sa rentrée en CP. Je n'en revenais pas, les années passaient à toute vitesse. Où était passé mon bébé d'à peine 3 kg et 50 cm que je tenais dans mes bras il y a 6 ans déjà ?
Elle était devenue une belle petite fille que j'avais la chance de voir grandir tous les jours.
Le CP était un passage dans la classe des grands. Fini la maternelle, le coloriage et les siestes de l'après-midi. La souplesse avait laissé place à plus de rigueur.
Un grand cartable à roulettes de fille et en avant toutes.
Un petit pas dans le monde des grands.
Je ne me faisais pas de soucis pour ma fille, elle adorait l'école et s'entendait très bien avec ses copains de classe. Étant seule à la maison et fille unique, l'école lui permettait de s'épanouir pleinement.

Quant à moi, je passais régulièrement des scanners pour suivre l'évolution de la maladie. C'était devenu une routine.
Cependant, ça ne m'empêchait pas d'y aller la boule au ventre et d'appréhender le résultat avec autant d'inquiétude que la première fois.
Ce jour-là, je passais mon examen comme d'habitude, allongée autour de la machine qui me scannait de la tête aux pieds. L'appareil s'arrêta net ...

Je connaissais approximativement la durée de l'examen, étant devenue une experte aussi bien en analyse des moindres imperfections du plafonnier de la salle d'examen que dans celle de la durée des clichés. Mais ce jour-là, l'attente me paraissait étrangement longue. Je songeais qu'on m'avait oubliée là. J'étais seule sur le brancard d'examen comme dans une scène d'un film où le décor devient immense face à la toute petite chose qui se trouve au milieu, et qui au fil des minutes devient microscopique. Cette petite chose c'était moi.

L'infirmier rentra dans la salle en m'arrêta net dans mes pensées rocambolesques, il était temps. J'étais à deux doigts de disparaître.
- Il va falloir revenir dans une heure, madame ! En ayant beaucoup bu.

- Il y a un problème ?

L'infirmier resta quelques instants silencieux, je pense qu'il était en train de réfléchir à ce qu'il pouvait bien me dire, sans placer le mot de trop.

- Un rein ne répond pas, le radiologue a besoin de plus de clichés.

Le rein ne répond pas ? Mais qu'est-ce que ça veut bien pouvoir dire ? Je vais essayer de le joindre, peut-être aurais-je plus de succès. Evidemment Google était mon ami...

Tandis que je tapais dans la barre de recherche : « mon rein ne répond pas » j'eus plusieurs possibilités :

- un rein ne répond pas aux messages

- un rein ne répond pas aux sms

- un rein ne répond pas aux questions

Certes le mien se trouvait dans toutes ces propositions, mais je n'eus pas de mal à trouver des réponses à mes questions quant au rein qui ne répond pas au scanner.

Mais tous les symptômes qui auraient pu me mettre sur la piste, je ne les avais jamais eus. Sauf une douleur persistante au rein droit depuis quelques jours que j'avais mise sur le compte des métastases osseuses.

Une heure après, je refaisais l'examen en quelques minutes. Le radiologue me rejoignit dans la cabine :

- Vous avez un rein qui est en souffrance. Quelque chose bloque l'uretère l'empêchant d'éliminer correctement. Il faut rapidement voir un urologue, qui va certainement vous installer une sonde double J pour vous soulager. Ce n'est pas grave, mais il ne faut pas trainer, les dommages peuvent être irréversibles.

Je savais pertinemment que ce quelque chose était une métastase et quand je lus le compte rendu final du scanner, je vis aussi que j'en avais au niveau du foie.
Quant à la sonde double J, je me voyais déjà avec une poche urinaire accrochée à ma jambe. Je n'en avais jamais entendu parler.

Jusqu'ici je m'étais toujours dit que tant que la maladie ne touchait que les os, ça allait. Mais dès lors qu'elle allait se loger dans les organes vitaux, c'était nettement plus préoccupant.

Je ne sais pas de combiens d'années ma vie sera faite, nous l'ignorons tous. Combien de traitements expérimentaux en tous genres et combien chimiothérapies j'allais devoir faire ?
Vivre auprès de ma fille est ma priorité. Affronter de nouveaux traitements était une évidence.

D'ailleurs le verdict fut sans appel, reprise de la chimiothérapie sans surprise.

Quatre ans que j'avais eu la chance de pouvoir vivre sans ces cocktails explosifs, mais là je n'avais plus le choix. Il fallait y retourner.

Poursuivre mon travail, était compromis.

Entre Deux Rives  Où les histoires vivent. Découvrez maintenant