Chapitre 10 : Le Monde S'écroule

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La semaine s'écoula le plus simplement du monde, métro-boulot-dodo.
Ce jour-là, je m'étais levée comme tous les autres matins, fraîchement douchée et maquillée. J'ai bu mon petit café et emmenais ma fille chez sa nounou. Ensuite je filais au travail.
Une fois la matinée terminée et après avoir récupéré ma fille, nous avions fait une bonne sieste l'après-midi et j'attendais que mon homme rentre du travail, pour aller en coup de vent récupérer mes papiers chez le chirurgien qui était également gynécologue.

Ne trouvant pas de place à proximité du cabinet, j'ai dis à mon chéri de rester dans la voiture avec ma fille, je n'en avais pas pour longtemps. « Dans 5 minutes, je suis sortie ».

C'était la fin de journée, je savais que j'allais sans doute être la dernière patiente, donc je n'allais pas attendre trop longtemps. J'ai envoyé un bisou de la main à mes 2 amours et parcourais rapidement le long couloir blanc et le sol carrelé, avant d'arriver devant la porte.

Je saluais la secrétaire en espérant qu'elle me tende les fameux papiers et que je m'échappe au plus vite, histoire de ne pas les faire attendre trop longtemps en bas dans la voiture. « Madame le docteur vous attends ».

Je rentrais dans la salle du médecin et m'assaillais doucement. J'avais l'impression que le temps s'était suspendu. L'atmosphère était étrange.

Le docteur ne me regarda que très brièvement. Ses mains étaient sous le bureau, ses épaules tombaient mais le plus étrange c'était sans doute l'air dépité que me renvoyait son visage tout entier.

Je crois que c'est à ce moment précis que j'ai compris que quelque chose n'allait pas. Je le voyais me fixer longuement. Il semblait honteux et attristé. Rien à voir avec l'allure et l'assurance que dégage en temps normal un médecin.

Il planait dans la pièce comme un malaise. Il y avait juste lui et moi, seuls au monde dans cette pièce immense qui me donnait l'impression d'être soudainement si petite , minuscule, microscopique.

Il devait annoncer le verdict.  Ca devait tomber ici, maintenant, tout de suite.

"Le résultat de la biopsie n'est pas bon. Donc on va rapidement programmer une mastectomie, un TEP Scan, voir si d'autres organes ne sont pas touchés et s'il n'y a pas de propagation. On va vous installer une chambre implantable en même temps, comme ça vous pourrez commencer la chimiothérapie et les rayons par la suite. Vous allez perdre vos cheveux.
Enfin l'oncologue avec qui je vous ai pris rendez-vous vous en expliquera plus."
Il se leva, me serra la main et mit l'autre sur mon épaule en me répétant :" ça va aller, Mme, ça va aller ".

En effet, ce fut bel et bien en coup de vent.
Il me fit un grand sourire, claqua la porte derrière moi et fut soulagé de s'en être enfin débarrassé, d'avoir pu tout déballer.

Quant à moi, je me tenais parfaitement droite devant la secrétaire, comme si rien de rien n'était, figée dans l'espace et le temps.
Comme pour m'imprégner une dernière fois de cette santé et cette fluidité que la vie m'offrait jusqu'à présent, avec le sentiment que c'était déjà bien loin.

La secrétaire me donna des papiers et des rendez vous à n'en plus finir et je n'avais pas la force de dire quoi que se soit. Aucun son ne sorti de ma bouche, j'étais figée.

J'avais des flash backs, comme une reprojection de ma vie, comme lors d'un accident de voiture, où on a le sentiment que nos heures sont comptées.
Je revoyais en boucle tous les professionnels qui m'avaient affirmé que ce n'était absolument rien, qu'à 24 ans on a pas de cancer, et patati et patata.
Ils m'avaient tous menti et moi, naïve que j'étais, je les avais cru comme des dieux vivants.

Je ne me souviens plus en détail de ce qui s'était passé, mais je pense que ma tête avait décroché de mon corps et que la lucidité m'avait quitté quelques instants.
Sinon je me serais sans doute écroulé au cabinet.
Au lieu de ça je restai de marbre, en acquiesant le moindre mot, en guise d'un bon "ainsi soit il, ainsi sois je".

Je voyais ma belle vie, mon doux cocon, s'écrouler comme un jeu de carte en pleine tempête.

Et en dessendant les escaliers et la route qui me séparait de ma famille qui attendait impatiemment dans ma voiture, je me demandais par quelle force divine, l'homme qui partageait ma vie depuis quelques mois allait accepter de rester avec moi...

Le bonheur, ne devait pas être voué à me côtoyer trop longtemps.

Comment ma fille allait elle le prendre ? Et si je meurs ?

Tellement de pensées tournaient dans tous les sens et je me perdais à petit feu entre la raison et l'incompréhension.

Je sentais un torrent de larmes monter au fil de mes pas. 

J'aperçu la voiture, j'ouvrais la portière.

"On commençait à s'impatienter, tu en as mis du temps".

Je crois que je ne dis rien, je n'entendais que les "maman" répétitifs de ma fille qui me reconnectait au présent.
"ça va ? Alors ?
" [...] "
" alors?! ".

Seule les larmes se mirent à couler en guise de réponse. Mon homme alluma le plafonnier de la voiture et me questionna à plusieurs reprises, autant surpris que je pouvais l'être...
Il s'en suivit un interminable silence, puis il éteignit la lumière et démarra la voiture sans autre bruit que celui de mes larmes et de ma respiration saccadée. 

Je regardais par la fenêtre, anéantie une fois de plus, inquiète et en colère contre le monde entier mais surtout contre ceux qui m'ont transmis de faux espoirs, au point que jamais la notion de cancer n'avait pu planer dans mon esprit. 

"Maman, pourquoi tu pleures ? Pourquoi maman pleures ?".
Je tendis la main à ma fille et serrais la sienne douce et chaude, autant que possible. Elle me redonnait à chaque fois autant de tendresse et de force que possible.

Le trajet fut long pour tout le monde.

Entre Deux Rives  Où les histoires vivent. Découvrez maintenant