Et où aller quand on se sent seul ? Au bar, pour être seul avec d'autres personnes seules, enfin, seules avec le barman pour certaines. Archie était bien plus porté sur le café au lait que sur la vodka, mais la caféine ne lui aurait été d'aucune aide ce soir-là. Il ne s'était volontairement saoulé qu'une fois dans sa vie – ou plutôt quatre –, pendant une crise dépressive qui l'avait foutu par terre et réduit à l'état de masse de pleurs et de hurlements étouffés tant bien que mal dans son coude. C'était ça ou mourir, et malgré sa terreur de la vie, Archibald David ne voulait pas crever. Ce soir-là non plus, il ne voulait pas crever, juste s'anesthésier un coup pour oublier ce vide qui lui bouffait les entrailles et les épaules. Un pathétique manque d'affection qui le menait parfois à penser à retourner dans les bras d'Eric – des bras qui le frappaient, mais qui le consolaient aussi. Il lui arrivait même de songer qu'il s'en tapait, de prendre des coups, peut-être bien qu'il les méritait, puis il repensait à ce bouquin à la couverture usée qui le rassurait de sa présence, enfoui dans son sac à dos ou la poche de son blouson, et changeait d'avis. Il allait se réfugier dans une bibliothèque et lisait pendant des heures, souvent jusqu'à ce que les employés viennent gentiment lui dire qu'ils fermaient. Mais cette fois, ça ne suffirait pas, ça ne suffisait plus, l'appartement miteux où il vivait le terrorisait parce que la solitude qu'il abritait allait lui dévorer le cœur et le cerveau, cerveau dans un état tel qu'il ne parvenait plus à lire une ligne et que la musique lui faisait mal, et quant à écrire, putain...
Archie n'allait pas bien du tout.
Sans doute le propriétaire du bar s'en aperçut-il, mais des types déprimés, il devait en voir tous les soirs, alors il ne lui dit rien et Archie en fut presque malade. Pourquoi, aurait-il voulu hurler, pourquoi personne n'en a rien à foutre ? Pourquoi vous avez rien à foutre les uns des autres, putain ? Il aurait étalé sa souffrance sur chacun des murs de l'enseigne pour que quelqu'un se décide enfin à le prendre dans ses bras. Il eut soudainement peur de faire une crise de rage, là, tout de suite. La Ritaline n'avait jamais rien pu faire contre ça. Quand ça arrivait, il devait s'enfermer et cogner les murs à s'en faire mal, et pourquoi pas démolir quelques objets à la con, comme un de ces foutus cylindres métalliques dans les chiottes – il avait dû en bousiller deux jusqu'à aujourd'hui, y laissant son sang et ses phalanges, avant de se mettre à pleurer.
Il avait bien envie de pleurer, tiens. Il avait toujours beaucoup pleuré, infoutu qu'il était de gérer ses émotions, enfant comme adulte. Les effets de l'alcool étaient aléatoires là-dessus, il le savait mais il s'en foutait, il voulait boire jusqu'à s'évanouir et dégueuler dans sa gorge. Le lendemain, il n'aurait à s'occuper que de sa gueule de bois et aurait suffisamment la tête dans le cul pour ne pas penser à autre chose. Enfin, il l'espérait. Peut-être aurait-il seulement envie de mourir.
La vodka sommeillait devant lui depuis sans doute un quart d'heure lorsque entra le grand punk dégingandé avec qui il s'enverrait en l'air dans sa voiture dans la demi-heure.
Archie ne savait pas trop ce qui le retenait de boire, possiblement l'odeur de son verre. On aurait dit de l'alcool à 90°. Qui était capable de boire ce truc ? Fallait-il considérer les Russes comme les êtres humains les plus courageux de la planète, les plus cinglés, ou juste ceux qui se les caillaient le plus, là-haut ? Peu importait, il allait se rabattre sur le whisky. Ou sur la bière, dans le pire du pire des cas. Il lui serait facile de se persuader qu'il était bourré, au bout d'un moment. Il cherchait peut-être davantage le réconfort de la boisson que l'état d'ébriété, finalement. Il attira le petit verre à lui pour jouer avec, le faisant tourner sur lui-même du bout du doigt sur le comptoir, sans se soucier de ce que diraient les autres du bruit que ça pouvait faire. Il n'était même pas certain que ça en faisait, du bruit, enfin si, mais est-ce qu'on pouvait l'entendre ? Il n'était pas doué pour évoluer le volume sonore qu'il produisait.
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Les étoiles brillent-elles toujours dans un ciel rouge ?
Ficción GeneralC'est une énième histoire qui n'aurait jamais dû commencer. L'histoire d'une destruction, peut-être calculée, ou peut-être pas, pour ce que ça peut faire. Tout ce que sait Archie, c'est qu'avant de le rencontrer, il commençait à aller mieux. Histoir...