11 - Une flamme qui vacille

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Peut-être un jour saurait-il comment ils en étaient arrivés là. Comment une lame d'une bonne vingtaine de centimètres de long s'était retrouvée coincée quelque part entre sa dernière côte et sa hanche. Pourquoi il n'avait pas mal. Non, il n'avait pas mal, pas du tout. Son esprit l'avait coupé de son corps pour mieux hurler. La douleur, ce n'était pas ce qui comptait, non, l'important, c'était le froid. Ouais, il crevait de froid, Archie, et ce n'était pas faute d'être adossé au radiateur de sa chambre. Il pensait Je vais crever. Tout son être se terrait le plus loin possible de sa blessure. Le plus loin possible de lui.

Il était là, derrière la porte, il disait Ouvre, Archie, ouvre putain, tu vas crever si tu restes seul là-dedans ! Et son cerveau de crier CREVER CREVER CREVER, et son téléphone de trembler dans sa main glacée et rouge de sang, il glissait, ses doigts étaient trop poisseux pour qu'il tape le numéro, et ses yeux découpaient les chiffres avec une netteté brûlante, ils gueulaient TAPE TAPE TAPE, et son cerveau criait TU VAS CREVER TU VAS CREVER ARCHIE TU VAS CREVER !

Il avait tellement, tellement froid. Comme lors de tous ces soirs où ils dormaient dans le même lit mais pas ensemble, parce qu'Eric refusait de le prendre dans ses bras, il le laissait à la solitude, à la glace, il le laissait déjà mourir depuis longtemps, depuis... depuis...

LE 18, ARCHIE ! LE NUMÉRO DES POMPIERS C'EST LE 18 ! C'EST DEUX PUTAINS DE CHIFFRES, PUTAIN ARCHIE !

Je sais, je sais, je sais, ça glisse, pardon, ça glisse-

LE 18 BORDEL ! 18 ! 18 !

Le portable tomba sur le carrelage avec un bruit assourdissant. Et pour le coup, Archie eut mal. Vraiment très mal. Mais il reprit le mobile, parce qu'il le fallait. Il ne pouvait pas mourir, il lui restait des histoires à écrire, d'autres à lire, de la swing à écouter parce que putain il ne s'était plus accordé ce plaisir depuis des mois il n'avait plus écrit non plus qu'avait-il fait tout ce temps combien de temps perdu combien combien comb-

Les pompiers. Le 18.

Eric tambourinait sur la porte de la chambre, il suppliait Archie d'ouvrir, lui assurait qu'il ne lui ferait aucun mal, que jamais il ne lui ferait le moindre foutu mal, et il avait mis de la musique, putain première fois qu'il faisait ça, c'était Lou Reed et Archie ne pourrait plus jamais l'écouter après ça, heureusement que c'était pas de la swing, heureusement, heureusement...

« ÉTEINS CETTE SALETÉ DE MUSIQUE, JE CRÈVE, CONNARD D'ENFOIRÉ DE FILS DE PUTE DE MERDE ! »

Il venait de s'arracher les cordes vocales, il ne pourrait plus jamais parler et ça risquait d'être chiant pour le pauvre gars qui l'attendait désormais au bout de la ligne, enfin des ondes, enfin merde, il l'avait composé, ce foutu numéro, passe à l'étape suivante, Arch...

« Aidez-moi. Aidez-moi, pitié.

— Quelle est votre urgence ?

— Je vais crever. Il... couteau. Dans le... le flanc. Venez putain, j'ai... j'ai froid...

— Où êtes-vous ? »

Il déglutit. L'adresse. Il s'en souvenait, non ? C'était la sienne, bien sûr qu'il savait, bien sûr, et il la lui donna, et le type lui intima de continuer de parler, il devait rester conscient, même s'il avait froid, même s'il était au bord du précipice, même s'il avait peur, il ne pouvait pas abandonner, il faisait quoi dans la vie, attendez vous êtes Archie David ? Ouais, ouais. Si vous restez éveillé jusqu'à notre arrivée, je viens faire dédicacer mon exemplaire de La Tueuse et le Fossoyeur au prochain salon, ça vous va ? Ah, pourquoi celui-là ? Parce que c'est mon préféré. Ah ouais ? Oui, c'est mon préféré, il est excellent, monsieur, vraiment. Appelez-moi Archie, je... je suis content de parler à un lecteur avant de mourir. Mais Archie, vous n'allez pas mourir, tout va s'arranger, on vient vous chercher, vous m'entendez, on vient vous chercher. Vous vous appelez comment, mon gars ? Dylan. Dylan, j'ai peur, putain. Est-ce qu'il y aura une suite ? Pour La Tueuse ? Oui. Pourquoi y'aurait une suite ? Pourquoi pas ? Parfois y'a plus rien à dire.

Les étoiles brillent-elles toujours dans un ciel rouge ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant