Peut-être Eric avait-il toujours aimé les choses cassées. Peut-être, enfant, choisissait-il les jouets les plus ébréchés, les peluches effilochées, blessées ; peut-être était-ce cela qui l'attirait, oui, parce qu'il pouvait réparer ces objets, ou éprouver leur résistance, s'assurer que, même brisés, ces êtres de plastique demeureraient à ses côtés, ils tiendraient le coup, pour lui, pour rester avec lui et l'accompagner sur le difficile chemin de l'existence. Ils l'aimeraient, ils y emploieraient leurs dernières forces, leur amour pour lui les maintiendrait en vie, ils ne mourraient pas s'ils l'aimaient suffisamment, oui, c'était sans doute ainsi que pensait Eric quand il était enfant, et cela aurait-il été un véritable problème s'il avait un jour cessé de penser ainsi ? Aurait-il bousillé Archie, et d'autres avant lui, comme il l'avait fait ? Avait-il collé une balle dans la tête du chiot pour prouver à Archie que nul ne l'aimerait autant que lui ? Pour lui prouver que c'était lui, et nul autre, et surtout pas un chien, qui régissait sa vie ? Par simple cruauté ? Qui sait ? Cela ne change rien, au fond : Eric avait buté un chien, et ce chien n'avait rien demandé, il n'avait jamais fait de mal à personne, il n'avait jamais voulu qu'on l'abandonne sur le bord de la route, il n'était même pas allé au-devant d'Archie pour qu'il le prenne dans sa voiture et l'emmène en lieu sûr, non ; c'était Archie qui s'était arrêté sur le bas-côté pour lui, en toute gentillesse, parce que c'est ce qui était juste, parce qu'Archie était bon. Rien ne l'obligeait à aider le chiot, si ce n'était son propre sens moral, sa volonté. Et rien n'obligeait Eric à tuer le chiot, si ce n'était sa propre soif de pouvoir. Il avait voulu voir la terreur sur le visage d'Archie quand il l'avait frappé pour la première fois. Ses lunettes avaient volé sur le sol mais étaient restées intactes – parce qu'elles aimaient Archie, probablement. Eric avait peut-être songé à les écraser, mais il avait rattrapé le chiot. Il l'avait rattrapé par la peau du cou et soulevé avant de le balancer dans le couloir et de l'y suivre – il avait clos la porte derrière lui, il ne l'avait même pas claquée. Archie aurait préféré. Eric était trop calme pour ce qu'il venait de lui infliger et pour ce qu'il s'apprêtait encore à faire. Le coup de feu avait fait l'effet d'une explosion, la détonation avait retenti dans le crâne d'Archie, elle avait balayé toutes les connexions, puis elle était descendue jusqu'à son estomac, puis sa vessie, il s'était vidé sur le sol et avait oublié pourquoi. Un événement aussi horrible n'avait pas pu arriver. Eric ne tuait pas les chiens, et Eric ne le frappait pas. Il aimait les trucs cassés, mais il ne les cassait pas lui-même. Il ne l'avait pas frappé. Il ne l'avait jamais frappé. Il ne s'en serait pas retourné à l'appartement avec cette expression inquiète, il ne lui aurait pas demandé si tout allait bien, s'il avait levé la main sur lui. Eric ne l'avait pas frappé et ne le frapperait jamais. Et jamais il n'aurait tué un animal, même s'il ne voulait pas de chien – les gens auraient parlé, s'ils l'avaient vu buter un chien, non ? Un flic qui butait un humain, c'était banal, surtout si l'humain en question avait la peau un peu trop foncée, mais un chiot ? Et personne ne parla. Il ne s'était rien passé – à moins qu'Eric n'eût tué un humain, mais c'était absurde, hein ? Ouais. Absurde.
Eric avait aidé Archie à nettoyer le sol, puis l'avait invité dans la baignoire pour le laver, tendrement, en déposant des baisers sur ce point sensible de son cou. Archie ne lui avait pas demandé ce qu'il était allé faire dehors. Il avait oublié qu'Eric était sorti.
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Les étoiles brillent-elles toujours dans un ciel rouge ?
Fiksi UmumC'est une énième histoire qui n'aurait jamais dû commencer. L'histoire d'une destruction, peut-être calculée, ou peut-être pas, pour ce que ça peut faire. Tout ce que sait Archie, c'est qu'avant de le rencontrer, il commençait à aller mieux. Histoir...