12 - Le reste est silence

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Faire quelque chose d'effrayant.

Archie fixait de ses yeux fatigués le tatouage de sa cuisse gauche depuis un temps indéterminé, le caressait quand il en avait le courage, suivant du pouce les tentacules dansants du poulpe d'encre, et se disait qu'il vieillissait bien, mieux que lui-même probablement, que l'artiste avait réalisé un travail de dingue, qu'il regrettait d'avoir évité de regarder cette cuisse de trop près pendant ces derniers mois, parce qu'il était important, ce calamar géant, il signifiait beaucoup pour lui... et pour quelqu'un d'autre. Quelqu'un qu'il allait appeler s'il en trouvait la force.

Le noir du dessin contrastait avec la blancheur brûlante de l'environnement. Archie avait mal aux yeux. Ils avaient dû absorber tout le rouge, piquants comme ils étaient, il devait avoir les yeux d'un drogué, oh, il les avait tellement suppliés de ne pas lui donner d'anxiolytiques, pas d'anxiolytiques, plus jamais, pas un autre sevrage, plus jamais, alors il avait juste eu droit aux sédatifs. Mais il savait que tous songeaient à le transférer au pavillon des cinglés, dès qu'il serait en état. Pour ce qu'il en avait à foutre. Qu'ils l'enferment, qu'ils fassent de lui ce qu'il leur plairait, qu'ils l'assomment d'électrochocs, tant qu'ils ne le défonçaient pas aux benzodiazépines. Il supporterait tout, sauf ça. Les benzos, c'était rouge. Tout, mais plus de rouge, par pitié, plus de rouge.

Ses pupilles attrapèrent de nouveau son téléphone. Il déglutit. C'était une porte de sortie, oui, mais... et si on ne lui pardonnait pas d'avoir passé cette porte en sens inverse des mois plus tôt ? Il fallait tout de même un sacré culot pour appeler à l'aide une personne qu'on avait rejetée, pas vrai ? Et s'il la blessait ? Et s'il lui faisait peur ? Et s'il était désormais plus seul que seul ? Parce que sans elle, il l'était. Mais c'était lui qui l'avait choisi. Pauvre con.

Il avait effacé son numéro de son répertoire, mais il ne l'aurait pas oublié même s'il ne devait plus le composer jusqu'à sa mort – enfin, sauf s'il perdait la tête, bien sûr. Archie avait toujours connu tous ses numéros par cœur, résultat de ses difficultés à entretenir ses relations. Comme si une amitié sincère avait besoin d'entretien... Il soupira. Ce qu'il avait fait était bien plus lourd de conséquences qu'un simple manque d'arrosage. Ouais, il avait arraché leur lien à leurs vies comme une mauvaise herbe. Merde, il était incapable de nettoyer un jardin correctement, c'était un carnage à chaque fois.

Tant pis. Pour le coup, tant pis. Il avait déjà sauté à l'eau, et rien n'était pire que d'attendre de savoir si l'on allait ou non boire la tasse. Ses doigts tremblèrent sur l'écran et sa vue se brouilla alors qu'il tapait les chiffres et que le clac clac des touches virtuelles froissait ses oreilles.

Il l'appela.

Elle décrocha.

« Archie ? »

Elle l'avait reconnu. Elle avait conservé ses coordonnées sur son téléphone.

Ses mots se noyèrent dans ses larmes. Rien de ce qu'il voulait lui dire ne remonta à la surface. Elle prit les rênes.

« Arch, t'es où ? »

Il parvint à lâcher un mot entre deux sanglots. De la lave en fusion coulait sur ses rétines.

« Hôpital...

— L'hôpital d'où ?

— Metz... Mélodie, je...

— Est-ce que tu vas bien ? Est-ce que tu es en sécurité ? »

Pourquoi lui demandait-elle ça ?

« Euh... oui, je crois...

— Du calme. Ça va aller, Arch, ça va aller. »

Les étoiles brillent-elles toujours dans un ciel rouge ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant