Apprivoiser les Nuages

Histoires de familles

Une semaine que je suis en conflit avec Ondine. J'ai l'impression que cette hostilité entre nous divise toute la famille. Papa est de moins en moins, là, il nous évite. Zéphyr nous fuit, il fait en sorte de s'inviter chez des amis. Même Atchoum se montre étrangement calme et obéissant, ce qui ne lui ressemble pas du tout.

Moi aussi, comme les autres, je passe de moins en moins de temps à la maison. Je profite de Fragrance, je passe du temps avec le nouveau, je vois des amis.

Le seul point positif, c'est que je n'ai jamais eu autant d'amis de ma vie. En fait, avant, je n'avais que Samantha. Maintenant, il y a Eliss, Samuel, Lise, Amandine, Alban mais aussi Arthus. Eux tous m'apportent un réconfort plus que nécessaire.

D'ailleurs, je crois que j'arrive enfin à me détacher de Samantha. Elle paraît heureuse, avec ses nouveaux amis. Peut-être que ça nous fait du bien à toutes les deux, de changer.

Bon, j'y vais, la télé est libérée. Je dois me dépêcher avant que Zéphyr la prenne d'assaut. À plus.

• • •

Samuel poussa la porte de sa chambre, silencieux. Il ne disait jamais grand chose, chez lui. Avec un soupir, il alla se laisser sur son lit. Tout était parfaitement bien rangé, exceptées les éternelles étoiles tombées qui jonchaient le sol. Il  avait jusque là réussit à garder ses parents loin des morceaux de plastique lumineux, qui signifiaient tant de souvenirs pour lui.

Il attrapa son téléphone. Un sourire naquit sur ses lèvres quand il y découvrit une dizaine de messages d'Eliss.

Je m'ennuiiiiiiie !

Tu fais quoi ?

Je m'ennuiiiiiie, reviens !

Si tu reviens maintenant, je veux bien inventer un travail de groupe pour que tu viennes à la maison.

Bon, Sam ?

Saaaaaaaaam, réponds...

Si c'est comme ça, je vais voir Églantine. Elle voudra bien me répondre, ELLE.

ELLE ME RÉPOND PAS ET JE M'ENNUIE TOUJOURS.

SAMUEL RENAT RÉPOND TOUT DE SUITE

Le garçon sourit et tapota son écran pour répondre. Il envoya simplement un gif de champignon occupé à marcher, qu'ils avaient élu ensemble gif représentatif de leur amitié. La seconde suivante, Eliss répondit, apparemment soulagée de voir qu'il n'était pas mort empoissonné par un scorpion géant venu dominer le monde. Samuel avait commencé à écrire son message quand sa mère l'appela. Il ferma les yeux, effaça tout et réécrit rapidement :

Alerte rouge, les bulletins sont là.

Il abandonna là son téléphone et descendit rapidement, déjà soucieux. Son bulletin devait être bien assez satisfaisant pour les professeurs, mais il savait que ses parents auraient un tout autre avis.

Toute la famille était réunie, comme à la fin de chaque trimestre. C'était bien les seules fois où ils se voyaient pour autre chose que manger. Son frère, plus grand de deux ans, était affalé sur son canapé, l'air exaspéré. Samuel vint s'assoir à ses côtés, gardant ses distances avec le couple installé sur l'autre canapé.

— On commence par qui ?

Romain Renat fut le seul à tenter l'optimisme en adoptant un ton jovial. Son essai échoua lamentablement.

— Thomas, déclara Sabine, plus sèche en parcourant les résultats de son fils aîné d'un regard.

Thomas se renfrogna.

— C'est bon, pas la peine de parler. Vous racontez toujours les mêmes conneries. Je veux pas être avocat, moi.

Samuel aurait aimé pouvoir disparaître, peu désireux d'assister à la scène. Thomas, que tout le monde surnommait Tom, ne supportait plus ses parents. Les cris n'étaient pas rares, surtout depuis que le garçon de Terminale avait annoncé qu'il voulait devenir illustrateur, rien à voir avec la médecine, le droit ou la politique.

— De tout façon, je m'en fous, de vos avis. À la fin de l'année, je me barre, moi. Et excusez-moi si mes notes vous déçoivent.

L'ainé de la famille se leva, le regard furieux. Sa main effleura l'épaule de Sam, message muet de soutien, puis il monta dans sa chambre.

Après un long silence et quelques coups d'œil, Sabine reprit la parole :

— Eh bien, Samuel, nous allons donc parler de ton cas.
— Tes notes sont plutôt bonnes, les profs sont satisfaits, mais tu crois que c'est suffisant pour tes études supérieures ?
— Oh, arrêtez. Tom a...
— Pas Tom, Thomas. Il ne s'agit pas de ton frère, mais de toi.
— Oui, moi. Pas vous deux. Je pense que je vais pouvoir gérer mes études, je m'en occuperai quand ce sera le bon moment, d'accord ? En attendant, lâchez ça...

Samuel se leva à son tour et s'approcha, la main tendue. Il attrapa les bulletins et, sous les visages ébahis des parents, déchira les feuilles et petits morceaux de papiers qu'il alla jeter à la poubelle.

— Samuel ! Qu'est-ce que tu viens de faire ?!
— Je vous détache des notes.
— Ton téléphone est confisqué.

Sabine, choquée, était restée silencieuse. Cependant, elle acquiesça vivement à l'annonce de la sentence de son mari.

Samuel avait prévu le coup. Il tendit le téléphone posé sur la table du salon, parfaitement calme. Cet iPhone dernier cri, il n'en voulait pas : le couple le lui avait offert à son anniversaire, sans même un regard ou un sourire. Il avait été si dégoûté qu'il avait à peine touché à l'appareil. Le sien, le vrai, était un vieux téléphone à l'écran fissuré, qu'il préférait largement à l'iPhone.

— Va dans ta chambre, maintenant.

Soudain, Sabine sembla reprendre ses esprits. D'un bond, elle se leva, fusillant du regard son fils.

— Ça, c'est la faute de ton frère ! Il te met toujours plein d'idioties dans la tête !

Sur ces mots, elle se précipita à l'étage pour débouler comme une furie dans la chambre de Thomas.

Samuel serra le poing et partit dans sa chambre à son tour. Il attrapa un sac, y fourra quelques vêtements, ses écouteurs et son téléphone, redescendit et sortit, ignorant les mises en garde de son père.

Une fois dans la rue, il se mit à courir. Il hésita à aller se réfugier chez Eliss, mais repoussa finalement cette idée, n'ayant pas envie de voir une famille si unie alors que la sienne se fendillait de toutes parts. Alors, il dénicha son téléphone et appela Églantine.

Hey ! Voici le gif mentionné un peu plus haut, représentatif de l'amitié entre Eliss et Sam :