La maison des chats

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Je suis tombée. Quelques bleus, rien de grave. Je n'ai pas mal, alors ça va.

Je ne suis pas en colère contre Caprice. Par contre, si je trouve un jour l'idiot qui lui a fait du mal et l'a rendu si peureux, là, vous pourrez me voir furieuse.

Note aux petits curieux : idiot n'est pas un mot suffisamment fort pour décrire cet individu, mais je préfère éviter la vulgarité, vous comprenez ?

Je suis tombée, mais je me suis relevée. Caprice semblait désolé, comme un enfant qui se rend compte qu'il a faut une bêtise. Ça m'a fait rire et je suis remontée sur son dos. Marie était inquiète, elle s'en voulait que je sois tombée. Je l'ai rassurée d'un sourire et Samuel a réclamé un gâteau.

Note aux petits curieux : la tradition, à cheval, c'est de ramener un gâteau après être tombé.

Arthus est resté silencieux ; il ne parle pas beaucoup. Il cachait ses yeux derrière ses cheveux blonds tirant vers le roux, alors je n'ai pas pu deviner ce qu'il pensait.

Caprice des Nuages est en tous cas un bon ami, même s'il est un peu peureux et maladroit.

• • •

— Eliss ! Eliss, tu vas pas y croire !

La couverture remua un peu, laissant apercevoir une mèche de cheveux blonds. Un grognement répondit au petit garçon qui sautait sur le lit de sa sœur.

— Allez, Eliss, essaye de deviner !
— Deviner quoi ?
— Deviner !
— Je devine...

Et elle se rendormit.

— Eliss ! Eliss, Eliss, Eliss ! Debout !

La couverture lui fut arrachée. A contrecœur, Eliss se résigna à se lever. Elle se frotta les yeux et observa son frère, partagée entre l'envie de le jeter par la fenêtre et celle de le serrer contre son cœur. Au lieu de cela, elle lui balança son oreiller.

— Emery, je te jure que je vais t'assassiner un jour.
— C'est les vacances !
— Raison de plus pour ne pas me réveiller, jeune homme ! Les autres sont debout ?

Le petit garçon secoua sa tête blonde, tout sourire.

— Alors tu sais ce qu'il nous reste à faire !

Il leur suffit d'un regard complice pour s'accorder. En courant, ils se dirigèrent vers le couloir et ouvrir une porte à la volée. Là, un adolescent dormait, les bras écartés, les jambes tombant à moitié du lit. Emery pouffa et se précipita sur son frère avec un cri strident.

— Cael ! Debout, debout, debout !

Eliss se contenta d'observer, hilare. Si elle n'appréciait pas trop quand on venait l'arracher à son précieux sommeil, voir son petit frère de dix ans à l'œuvre la mettait toujours dans une excellente humeur.

— Oh, putain, Emery, on est samedi... Je vais te faire la peau !

Les deux frères tombèrent du lit dans un grand bruit. Les rires d'Eliss redoublèrent.

— On dirait que deux éléphants viennent de tomber !
— Je confirme, vous faites un boucan pas possible. J'envisage sérieusement d'aller vivre autre part.
— Tu aurais été la prochaine, Sa'.

Sacha, vêtue d'un ensemble noir, seule de la famille aux cheveux sombres et fins, bras croisés, dévisagea sa sœur. Elle finit par pousser un profond soupir de désespoir et descendit en haussant le ton, parce que personne ne s'entendait jamais dans cette maison, alors tous s'exprimaient en criant.

— Maman ! Pourquoi les trucs qui me servent de frères et sœurs ne vont pas dormir dans le jardin ?
— Oh oui ! Maman ! On peut dormir dans le jardin cette nuit ?
— Emery, c'était de l'ironie, avança Cael.
— Pas vraiment, lança Sacha, mais c'est pas grave !

Eliss abandonna la chambre de son frère pour se diriger vers une autre. Dans cette pièce, tout ce qu'on pouvait voir était bleu. Des murs bleus, un lit bleu, un bureau bleu, des oreillers bleus... du bleu à en perdre la tête, de teintes différentes, parfois penchant plus vers le vert, le noir ou encore le gris. Sur la porte, en bleu, on lisait : Mila.

Mila n'était pas dans son lit. Elle était endormie sous son bureau, Philosophe blottit contre elle. Le vieux chat ouvrit les yeux en entendant Eliss et miaula.

— Dites-moi, comment vous faites pour dormir ? Vous tentez de rivaliser avec Ambrose ?

Mila ouvrit les yeux au moment où Emery entra dans la chambre.

— Petite sœur !
— Emery, reviens ici, je vais te foutre la raclée de ta vie !
— Attends, je m'occupe de Mila !

Mila, cinq ans, pyjama bleu, cheveux en bataille. Mila qui échappait aux réveils brutaux d'Emery. La petite Mila toute fragile qui parlait rarement, mais qui savait montrer son amour autrement. Mila que les autres à l'école trouvaient un peu bizarre. Après tout, quand on avait un lit, on ne s'endormait pas sous son bureau.

Emery ouvrit ses bras et sa sœur vint s'y blottir pour un bonjour tout doux, tout muet. Eliss esquissa un sourire, adoucie par l'amour de son frère et sa soudaine patience. Cependant, cela dura peu de temps car il la relâcha vite pour partir en courant.

— Cael ! Vient m'aider à réveiller Ambrose, sinon il va dormir toute la journée !
— Le retour de la marmotte... Attends-moi, j'arrive !
— Dépêche !

Eliss resta dans la chambre de sa sœur. Elle aussi lui tendit les bras, et, de la même manière qu'elle l'avait fait avec Emery, Mila se cacha contre elle.

— Comment ça va, petite étoile ?
— Philosophe a dormi avec moi cette nuit.
— Ça t'a fait plaisir ?

Mila hocha la tête et se détacha de sa sœur.

— Allez viens, on va faire des crêpes. Je sais pas quelle heure il est, ni si Ambrose va se réveiller un jour, mais tout le monde aime les crêpes, alors on va faire des crêpes.

Un sourire fleurit sur le visage de la plus jeune de la famille (en oubliant les animaux, parce qu'ici, les chatons ne se comptaient plus). Les deux sœurs descendirent les escaliers et y trouvèrent Sacha devant son téléphone.

— Tu regardes quoi, Sa' ?

La brune rangea son appareil dans sa poche.

— Je parle avec des amis.
— On va faire des crêpes.
— Quelqu'un a dit crêpes ?
— Oh, pas possible de parler en paix ici ! Au fait, Sa', faut que t'arrêtes avec le noir. C'est triste.
— Ah, recommence pas ! Le noir c'est mystérieux, c'est magnifique, c'est profond, c'est...
— Déprimant.
— Tu es trop jeune pour comprendre, Eliss.

Les deux sœurs se regardèrent un moment, comme se soupçonnant mutuellement de quelque chose.

— D'abord, je suis seulement plus jeune d'un an, un mois et deux jours. C'est pas une si grande différence. Ensuite, même Églantine dit que les couleurs sont mieux, tu devrais voir sa chambre, c'est magnifique !
— Et les crêpes, c'est pour aujourd'hui ou pour demain ?
— Le chocolat, c'est noir.
— Tu ne peux pas rivaliser avec le chocolat !
— C'est pas pareil !

Les trois garçons de la famille déboulèrent dans la cuisine.

— Tout ce qui compte en ce moment, c'est...
— Les crêpes !
— Exactement, Mila.

Philosophe, du haut des escaliers, regardait les six enfants en se léchant la patte. Une boule de fourrure noire vint s'installer près de lui. Les félins tendirent leurs oreilles vers la cuisine, comme deux anges veillant sur leurs protégés.

Apprivoiser les NuagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant