Intrusion dans la cuisine

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Ondine adore faire la cuisine. Non, c'est pire : elle passe sa vie entière dans la cuisine.

Elle y mange, fait la vaisselle, écoute de la musique, chante, prépare les repas, raconte sa vie, range, nettoie, casse des verres, s'énerve, crie, soupire, invente de nouvelles recettes, imagine des gâteaux géniaux...

Dès que vous entrez dans la cuisine, soit vous ressortez immédiatement, soit vous êtes condamnés à aider maladroitement la cuisinière de la maison.

La plupart du temps, j'évite donc cet endroit maudit.

Mais il se trouve que ma sœur est à fond sur les expérimentations de cookies. Et je ne peux nier que la dernière recette est un vrai délice (contrairement à celle d'avant, qui m'a donné mal au ventre toute la journée).

Note au petits curieux qui sont toujours et encore là (des coriaces j'imagine, ou des gens qui s'ennuient vraiment) : ne vous fiez jamais à Zéphyr quand il est question de nourriture. Il pourrait manger du vomi, il vous dirait « trop super bon » !

J'ai décidé, donc, d'offrir des cookies à Sam. Comme ça, elle ne fera plus la tête. Avec elle, tout se règle avec de la nourriture.

Le souci, c'est que je vais devoir imiter les Tortues Ninjas pour m'introduire dans la cuisine, kidnapper les cookies en question et repartir. Le tout sans être vue !

Souhaitez-moi bonne chance, j'en aurais besoin.

• • •

Églantine referma son carnet et soupira.

— Pourquoi je m'embête avec Samantha alors que j'ai d'autres amis ?

Les deux jours précédents avaient étés les plus beaux au lycée depuis longtemps pour la jeune fille. Eliss l'avait présentée à ses amis avec enthousiasme. Les autres avaient chaleureusement accueilli la nouvelle venue. Elle connaissait déjà Samuel (ou Sam numéro deux), son voisin visiblement amoureux d'Ondine. Lise, la douce rêveuse, voulait lui prêter un livre, selon elle « le meilleur de l'univers ». Alban était le genre de garçon adorable, tant qu'on ne cherchait pas les embrouilles. Quant à Amandine, elle devrait rencontrer Ondine. Églantine était certaine qu'elle pourrait battre sa sœur au concours des plus râleuses.

Malgré tout ça, la cavalière ne cessait de penser à Samantha et de chercher un moyen de se réconcilier avec elle.

— Tu parles toute seule, maintenant ?

Comme si c'était tout à fait normal de s'introduire dans les chambres des autres, Ondine vint se poster devant sa petite sœur.

— Oui, je crois que je deviens folle.
— Seulement maintenant ? J'ai commencé à l'être à partir de dix ans, moi.

Ondine affichait son habituel regard tout à fait sérieux, toujours très déstabilisant quand elle s'essayait à l'humour.

— C'est parce que t'es en avance, voilà.

Depuis que sa sœur avait sauté le CM2, Églantine utilisait cette excuse à tort et à travers. D'ailleurs, Zéphyr commençait aussi à s'y mettre.

— Ça n'a rien à voir !

Dans une mimique désespérée, l'aînée leva les bras.

— Comment va Sam ?

Ondine n'aurait pas pu frapper plus fort. Elle le remarqua en voyant sa sœur changer d'expression.

— Elle fait la gueule.
— Comme d'hab'.
— Ouais.
— Si tu veux mon avis, tu devrais la laisser faire sa vie. Tu peux pas rester éternellement près d'elle à te faire marcher sur les pieds.
— Je veux pas ton avis.

Plus butée qu'Eglantine ? C'était impossible. Ondine le savait, mais elle insista tout de même.

— Pourquoi ?
— J'ai pas envie, c'est tout.
— T'as peur.
— N'importe quoi ! Arrête de dire des conneries, Ondine.
— Zéphyr est à côté. Évite les gros mots.

Églantine ricana, amère. Elle repensa aux disputes houleuses de ses parents, où personne ne se retenait d'hurler des vulgarités à travers la maison, qu'importe l'âge des enfants.

Ondine soupira et s'éloigna. Arrivée près de la porte, elle se retourna.

— Si t'as besoin d'en parler, tu sais où me trouver. T'en fais pas, c'est pas grave d'avoir peur, c'est...
— Tais-toi, tais-toi ! Je vais très bien !

Les joues rougies de colère, Églantine observa sa sœur quitter sa chambre. Elle s'en voulut aussitôt, sachant que cette dernière allait culpabiliser.

— Je vais très bien, souffla-t-elle.

Elle se leva et se dirigea vers la cuisine d'un pas traînant.

— Je vais très très bien.

Apprivoiser les NuagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant