Pensées vagabondes

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Je vais monter Caprice des Nuages !

Note pour les curieux : c'est le nouveau cheval du club, Caprice.

J'ai tellement hâte ! Ça va être génial. Sam(uel) sera là et Arthus aussi.

À part ça, je n'ai toujours pas reparlé à Ondine. C'est papa qui fait les repas, maintenant. Zéphyr a abandonné ses projets de goûteur.

Au lycée, ça va mieux. Je ne parle plus du tout avec Samantha et passe tout mon temps libre avec mes amis.

Et pour les curieux qui s'inquiètent, Atchoum va très très bien. Il va souvent très très bien, c'est un chien.

• • •

Églantine approcha d'abord le hongre avec une certaine méfiance, qu'elle tentait de cacher. Elle ne se sentait pas bien, les larmes débordaient de son regard, inondaient son être et noyaient ses pensées. Elle cachait tout cela, repoussait sa peur, sa colère et sa tristesse. La magie du moment était tout ce qui importait. Elle était seule avec Caprice des Nuages et Fragrance. Rien ne devait gâcher ce moment.

Les deux chevaux l'observaient avec une curiosité qui paraissait presque enfantine. Les oreilles pointées vers l'avant, immobiles, ils ressemblaient à deux anges veillant sur la jeune fille. Caprice laissait son souffle chaud effleurer les cheveux bouclés et châtains de sa protégée. À moins qu'elle ne soit sa protectrice, il ne savait jamais vraiment. Sa présence, comme celle de Fragrance, l'apaisait. Il la trouvait minuscule, mais plus gentille et douce que Marie, qui dégageait souvent une autorité qui le brusquait. Fragrance, elle, se tenait proche de ses deux amis. Comme d'habitude, elle se montrait calme et rassurante. C'était elle qui reliait Églantine et Caprice, elle qui savait consoler leurs esprits troublés. Sa robe alezane avait laissé place à une teinte plus sombre et à un poil plus long et doux pour l'hiver. La vieille jument baissa la tête et se gratta la jambe, cherchant par la même occasion quelques brins d'herbe. Elle souffla en ne trouvant rien et se contenta donc de poser sa tête sur le dos de Caprice, bien qu'il soit un peu trop haut pour elle. Distraitement, elle lui gratta l'encolure avec ses dents, les yeux à demi clos.

Églantine pensait à beaucoup de choses en regardant ses compagnons. Elle se disait qu'ils étaient beaux. Son doux géant et sa belle ponette. Elle les adorait, les aimait plus que de raison. Ils étaient magnifiques, tous les deux. Elle était fier d'être amis avec eux.

Ses pensées glissèrent lentement vers Eliss, Sam et toute la bande. Il faudrait qu'elle les remercie, un jour, d'avoir eu la gentillesse de la prendre sous leur aile quand elle se sentait incapable de vivre sans Samantha. D'ailleurs, Églantine n'entendait plus parler de son ancienne amie. En classe, son attention était rivée sur Eliss, qui avait toujours des choses plus intéressantes que le cours à lui raconter. S'il arrivait de la voir par moments, elles ne se parlaient plus et s'échangeaient seulement quelques œillades qui suggéraient tout ce qu'elles ne se diraient jamais. Pardon. J'aurais voulu que ça se termine autrement. Moi aussi. Je suis désolée. Rien de plus, elles n'avaient rien d'autre à se partager. Ou peut-être au contraire trop de choses ? Églantine ne le savait plus vraiment. Elle n'y réfléchissait pas beaucoup non plus.

Au lycée, elle déraillait un peu. Si elle n'avait jamais été la meilleure de la classe, elle avait toujours été dans la moyenne. Maintenant qu'elle se concentrait sur son bonheur, ses notes baissaient. Son attention en cours était consacrée à Eliss. Son intérêt pour les atomes, les hauteurs des triangles et les pièces de théâtre, qui n'était déjà pas très grand, avait maintenant complètement disparu. Elle attendait avec impatience les vacances de Noël, qui d'ailleurs ne tarderaient plus. Il lui restait seulement le vendredi à survivre.

Courage, se dit-elle à elle-même, par la pensée. Bientôt les vacances.

Noël, les cadeaux, la famille, les repas surtout, les fêtes. Églantine n'aimait pas tellement ça. Elle n'appréciait pas ces moments où il fallait tout préparer, ce moment où il y avait de la musique et où ils installaient les belles assiettes en souriant. Même si Ondine dansait avec Mamie Hélène, même si Zéphyr faisait des allers-retours entre le salon et le jardin en espérant voir le père Noël, même si Martin délaissait pour une fois son téléphone, même si Papi Claude parlait de sa jeunesse. Malgré tous ces habitudes qu'Eglantine adorait, elle ne pouvait apprécier réellement ces fêtes de fin d'année. Sans cesse, elle revoyait le visage de sa mère. Elle se souvenait de ses sourires, quand elle faisait encore partie de leur petite famille. Elle se remémorait son côté perfectionniste qui faisait rire tout le monde quand elle repassait derrière eux pour bien placer les couverts. Elle se souvenait de ses yeux maquillés, de ses cheveux châtains bouclés qui reposaient sur ses épaules. Elle se rappelait qu'elle était magnifique. Puis, elle pensait que cette femme, qui était belle, qui était heureuse, qui riait ; cette femme avait maintenant d'autres enfants. Églantine se disait qu'elle n'était plus la fille de sa mère, comme Ondine, comme Zéphyr, parce qu'elle s'était enfuie à l'autre bout de l'univers. Elle imaginait cette femme entourée d'autres enfants, d'un autre homme, d'une autre famille inconnue, traîtresse. Elle visualisait des sourires qui ne lui seraient plus jamais destinés, que sa mère avait préféré offrir à son nouvel entourage plutôt qu'à elle. Et plus Églantine y pensait, plus cela la rongeait. Elle entendait des voix d'enfants scander « maman » et la voix de sa mère – sa mère ! Celle à qui elle devait la vie ! – répondre avec amour. Un amour qui aurait du lui appartenir, parce qu'elle était sa fille, la fille de sa mère. Églantine, c'était elle, le bébé que sa mère avait porté pendant un peu plus de neuf mois. Elle méritait cet amour. Ondine et Zéphyr aussi. Au lieu de ça, on lui avait arraché tout ce bonheur et elle voyait, à l'autre bout de l'univers, qu'on l'offrait à d'autres. Ça la dégoûtait. Elle se sentait ensuite nauséeuse, repoussait les plats avec des murmures d'excuse et se cachait dans sa chambre pour pleurer.

Un jour, dans un tout petit carnet bleu, elle avait écrit d'une main enragée :

Tu vois ça, maman, comment tu me gâches Noël ? Comment tu me gâches ma vie ?

Apprivoiser les NuagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant