Est-ce que ça va ?

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Ma sœur est vraiment bizarre,  ça empire chaque jour.

Elle dit que Samantha n'a pas le droit de me rendre malheureuse. Moi seule possède le pouvoir de la laisser me blesser. Je ne dois pas l'oublier.

Elle est complètement timbrée, c'est que dans les romans d'amour qu'on lit ce genre de discours.

• • •

Églantine franchit les grilles du lycée en courant. Sa montre affichait 8h50, son emploi du temps montrait en gras que le cours d'Histoire-Geo débutait à 8h15.

Il fallut d'abord trouver la salle. La jeune fille explora les couloirs blancs avec la discrétion d'un éléphant et le souffle saccadé d'un coureur venant de terminer un marathon.

La prof d'Histoire était peu à cheval sur les horaires, mais pas des plus sympathiques. Avec son air de gentille-mais-en-fait-non, elle avait le don d'énerver Églantine.

Quand elle trouva la porte, Églantine l'ouvrit sans prendre la peine de toquer.

— Excusez-moi de ce retard, je... je... je... m'excuse ?
— Répétition du verbe « s'excuser ». Allez vous assoir, vous perturbez mon cours.
— Désolée.

Elle parcourut la salle du regard, trouva une place à côté d'Eliss et s'y installa.

— Qu'est-ce qui t'est arrivé ?

Eliss possédait un étrange pouvoir magique lui permettant de parler sans jamais se faire reprendre par les professeurs. On ne la soupçonnait jamais de rien.

Églantine, pour ne pas se faire remarquer, griffonna quelques mots sur une feuille, au milieu de quelques dessins.

Panne de réveil + retard bus = moi retard

Son amie éclata d'un rire cristallin si agréable à entendre que personne ne pouvait le lui reprocher. Églantine vit les sourires apparaître sur les visages. Une énième fois, elle se demanda comment cette fille faisait pour être si fantastique.

Puis, elle surprit un regard de Samantha. Celle-ci passait maintenant son temps auprès de Chloé, Sophie et Corentin. Églantine n'eut pas besoin de chercher pour s'apercevoir que sa meilleure amie l'observait avec envie. Non, pas elle, mais Eliss. Quelques instants plus tard, elle se tournait vers Sophie pour rire de blagues débiles.

Églantine baissa la tête vers sa feuille. Elle n'en avait rien à faire, de comment les gens vivaient à Athènes. Elle ne rêvait que de se rouler en boule dans son lit.

— Je ne t'ai pas raconté ! Aujourd'hui, Berlioz s'est battu !

Et sans même la laisser protester, Eliss enferma la jeune fille dans son monde coloré.

— Il est revenu avec une touffe de poils en moins, mon pauvre chaton ! Heureusement, Friandise s'est occupé de lui, une vraie maman poule. Elle ne l'a plus lâché de la soirée.

La sonnerie retentit vite, Églantine se dit que arriver en retard était une technique idéale pour ne pas entendre trop parler de Périclès.

— Tu sais quoi, je pense que Périclès est un vrai con. Je suis sûre qu'il manipulait le peuple pour garder le pouvoir.

Distraitement, Églantine approuva. Samantha était encore plus pâle que d'habitude, elle paraissait malade. Peut-être qu'elle devrait aller la voir, vérifier si tout allait bien ? Profitant qu'Eliss griffonnait quelques nombres au hasard pour faire croire qu'elle avait au moins regardé ses exercices de maths, elle s'éloigna.

Traverser les couloirs était toujours une épreuve, surtout quand il s'agissait de suivre quelqu'un. Les cheveux ondulés de Samantha restaient son seul point de repère. Églantine se faufila entre les lycéens bruyants et courut dans les escaliers. Enfin, elle ralentit à quelques mètres de son amie. Celle-ci était accompagnée de son nouveau groupe. Tous des idiots, pensa la jeune fille. Elle tendit la main, effleura du bout des doigts le bras de Samantha. Les regards furent soudain braqués sur elle. Méchanceté, dégoût. Églantine se sentir brusquement très mal, ayant l'impression de n'être qu'un cafard dégoûtant. D'une petite voix, elle articula :

— Sam ?

L'intéressée soupira, repoussa une mèche de ses cheveux. Mais malgré tous ses efforts, elle ne paraissait vraiment pas dans son assiette.

— Je... est-ce que ça va ? 

Sophie s'avança, repoussa Églantine.

— Bien sûr qu'elle va bien.
— Tu t'inquiètes pour ta best friend forever ? Je peux te dire qu'elle ne s'inquiète pas pour toi, elle, ajouta Chloé.
— D'ailleurs, moi, c'est Samantha. Sam, c'est pour mes amies.

Églantine demeura silencieuse alors que les larmes lui monter aux yeux. Elle se mordit la lèvre.

— Tu attends quoi ?

La jeune lycéenne s'éloigna alors, en silence. Elle prit une inspiration difficile et s'efforça de ne pas courir. Ses cheveux cachaient son visage.

Le reste de la journée fut un vrai supplice. Entre les sourires forcés, les coups d'œil discrets, la sensation d'un poids au creux de son ventre. À côté du rire d'Eliss, des remarques de Samuel, de la douceur de Lise, des plaintes d'Amandine et des regards d'Alban. Églantine, au milieu de tout ça, elle ne pouvait se changer les idées. Elle avait beau se concentrer pendant les cours, de toutes ses forces, de tout son être, rien n'y faisait. Églantine, elle ne pouvait pas sortir les mots de sa tête, les yeux, les expressions, les attitudes. Elle revoyait Samantha et les larmes lui montaient aux yeux et il ne fallait pas pleurer parce que c'est nul de pleurer au lycée et elle souriait et elle mentait d'un simple regard.

Églantine, elle taisait sa tristesse, l'enfouissait loin, mais ne parvenait jamais à l'oublier.

Apprivoiser les NuagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant