Tout commence à tourner en rond. Qu'est-ce que je peux bien raconter ?
Ah, voilà, j'ai trouvé.
Note aux petits curieux : vous êtes encore là ? Qu'est-ce qui vous intéresse tant dans la vie d'Églantine Foltier ? J'avoue que ça m'échappe...
Note aux petits curieux : pas besoin de me répondre. Je ne veux pas vraiment savoir.
Hier, il s'est passé quelque que chose d'incroyablement magique.
Hier, à la cantine, c'était frites. Frites et petits pois encore à moitié congelés. C'était bien, comme dernier jour de l'année au lycée. J'ai beaucoup ri. Eliss était d'excellente humeur, et sa joie est contagieuse. On a parlé de tout et n'importe quoi. Une discussion en entraînait une autre, et on se taquinait sans cesse.
Puis, on a débarrassé nos plateaux et on s'est précipité sur le piano installé au foyer. Sam était le seul à savoir vraiment jouer, nous on l'embêtait à appuyer sur toutes les touches. C'était drôle de regarder les expressions des autres. Certains s'amusaient de nous voir ainsi, mais il y avait aussi les genres trop sérieux, un peu rabat-joie, qui nous fusillaient du regard. Une fille est même venue nous voir pour nous dire d'arrêter. On a préféré en rire et continuer juste pour l'énerver un peu. Eliss est allée la voir et lui a proposé de venir nous rejoindre. La fille a dit qu'elle devait travailler.
Mais Eliss est quelqu'un de génial. Il était impensable qu'elle laisse quelqu'un seul le vendredi des vacances. Alors, elle ne l'a pas laissée travailler une seconde de plus.
Elle nous a donc ramené Pauline, une première sérieuse, un peu trop stressée et timide. J'ai reconnu quelque chose de moi en elle. Je crois que si j'étais restée avec Samantha, je serais devenue comme elle. Ça m'a rendue un peu triste, de penser ça. Pauline n'avait pas l'air d'avoir une vie très amusante.
En tous cas, elle s'est assise devant le piano. Elle a dit qu'elle ne savait pas jouer. Alban lui a affirmé que ce n'était pas grave, parce qu'il suffisait de faire semblant. « Tu souris aux gens, tu t'amuses et tu mets tes pensées de côté. »
Notre pause de midi s'est terminée sur une cacophonie sans nom mêlée d'éclats de rires. On était tous si heureux que ça se voyait à des kilomètres. Le regard pétillant de Pauline m'a réchauffé le cœur. On lui a dit de venir nous rejoindre quand elle nous voyait, parce que plus on est de fous, plus on rit. Elle nous a simplement observé, touchée. Nous, les petits de seconde, pas encore terrassés par le travail, si joyeux, si heureux de vivre. C'était extraordinaire. Ça l'a tellement émue qu'elle a effacé les larmes qui perlaient sur ses yeux.
Quand la sonnerie a retenti, nous nous sommes tous échappés avec nos regards rieurs. Eliss et moi avons rejoint le cours d'anglais, mais je ne m'en souviens plus. Je peux seulement revoir les sourires, la joie, les yeux brillants. Je peux seulement entendre encore une fois le « merci » de Pauline et sa voix éraillée, et ses éclats de rire.
• • •
Les élèves sortirent du lycée avec précipitation. Certains couraient, d'autres ne se pressaient pas.
Pauline se glissait entre les adolescents, évitait de justesse de rentrer dans ceux qui s'arrêtaient d'un coup en plein milieu du chemin. Elle tenait entre ses bras quelques cahiers qui ne rentraient pas dans son sac déjà trop lourd.
Elle ne pouvait ravaler ce petit sourire en coin qui collait à ses lèvres. En entrant le matin même dans l'établissement, elle s'attendait à une énième journée de travail, de soupirs et de solitude. Les examens qui ne tarderaient plus à venir la terrifiaient, alors elle révisait. Elle connaissait ses cours par cœur, pouvait réciter des formules de chimie sans problème, analyser n'importe quel texte littéraire, ou encore résoudre des milliers de problèmes de maths. La pression que les professeurs ajoutaient sans cesse ne l'aidaient en rien. Le stress l'habitait toute entière, et ses nuits blanches étaient truffées de pleurs silencieux.
Elle avait au début été agacée par ces secondes qui faisaient un vacarme au foyer. Leurs rires, leurs exclamations, leur joie... tout cela l'avait énervée. Pauline savait ce que c'était : la jalousie. La jalousie de voir les autres heureux et elle invisible dans un coin, le cerveau embrouillé par toutes les leçons qu'elle connaissait déjà.
Alors, elle avait nourrit sa colère jusqu'à se lever et demander aux élèves d'arrêter tout ce bruit. En réalité, elle pensait : arrêtez d'être heureux sans moi. Son ton avait été sec, méchant, brusque, hautain. Elle s'était attendue à des regard furieux et des soupirs bruyants. Elle avait été naïve au point de penser qu'ils allaient arrêter.
Mais quand elle était allée se rassoir, Pauline avait entendu les rires, de nouveau. Quelques minutes plus tard, une jeune fille était installée en face d'elle, ses cheveux d'or aussi lumineux que son regard. Elle avait dit : « moi c'est Eliss, et toi ? » et ne lui avait pas laissé le temps de répondre. Elle lui avait tendu la main et l'avait invitée à jouer avec eux. Et malgré les excuses de Pauline et ses refus, Eliss était arrivée à ses fins.
Et Pauline avait cru revivre.
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Apprivoiser les Nuages
Ficção AdolescenteÉglantine a quinze ans, cet âge où on se sent invincible. Cavalière passionnée, grande et petite sœur à la fois, lycéenne râleuse, elle apprécie sa vie tranquille. Mais elle comprend qu'on ne peut pas rester éternellement dans le passé, ni dans le...