Peut-être

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Je n'irai pas à cette fête.

Même si toute la famille le veut, même s'ils viennent chacun leur tour essayer de me convaincre, même si Eliss m'harcèle de coups de fils, même si Samuel m'a envoyé plusieurs messages.

De toute manière, je n'ai rien à me mettre. Histoire réglée !

Non, vraiment, je suis pas ce genre de fille qui aime les fêtes. Je suis un peu celle dans les séries, qui porte des gros sweats confortables et de simples jeans, qui reste un peu dans son coin, qu'il faut traîner derrière soi un peu partout.

Je suis un peu comme la fille du piano, Pauline. Trop stressée. Pas pour les mêmes choses, non. Je ne sais pas pourquoi je suis stressée, en fait. Pourquoi aller à une fête m'angoisse. Peut-être que je me prends juste trop la tête.

Peut-être que c'est pour ça que Sam m'a abandonnée. Peut-être que j'étais pas assez joyeuse pour elle.

En tous cas, c'est certain qu'elle a trouvé bien mieux chez Chloé et les autres. Ils font tout le temps des soirées. Tout le temps, toutes les semaines, presque tous les jours ! J'y suis pas invitée (et d'ailleurs, tant mieux), mais à chaque fois je vois les photos et vidéos sur les réseaux. Ils ont l'air de s'amuser. Sam a l'air de s'amuser.

Et si Eliss, Samuel, Amandine, Alban et Lise ne voulaient plus de moi eux aussi, pour la même raison ? Ils peuvent tous venir, il ne manque que moi. Est-ce que je vais leur manquer, si je ne viens pas ? Ils pourraient faire sans moi, après tout on se connaît pas depuis si longtemps. Est-ce que c'était parce que j'étais toute seule, qu'ils m'ont invitée à les rejoindre ? Est-ce qu'ils ont eu pitié de moi ?

Ça va pas.

Ça va pas du tout.

Je suis morte de trouille et je réfléchis plus, j'écris n'importe quoi.

Je vais y aller, à cette fête. Je vais leur montrer que moi aussi je peux être fun. Moi aussi je sais m'amuser.

Je vais y aller. Je vais rire, danser, chanter, faire des blagues, m'amuser, sauter dans tous les sens.

Oui, je vais y aller. Tout ira bien.

• • •

Samuel avait organisé un plan d'évasion digne des plus grands ninjas. Ses parents lui avaient interdit de sortir, mais il était hors de question qu'il rate une occasion de s'amuser entre amis.

— Samsam ?
— Oh, Thomas, non, je t'en supplie, arrête.
— Le plus petit des grands héroooos...

Le lycéen jeta un regard faussement horrifié à son grand frère, avant de cacher son visage derrière ses mains.

— Thomaaaaas, nooon...

Même sans le voir, il devinait un sourire sur le visage de son aîné.

— Tu prévois une évasion, alors ?

Immédiatement, Samuel se redressa, cette fois réellement horrifié.

— Comment tu sais ça ?

Un éclat de rire lui répondit. Thomas se laissa tomber sur le lit de son cadet et lui ébouriffa les cheveux.

— Ça crève les yeux. Enfin, les miens. Visiblement, les parents voient pas le petit rebelle en toi.
— T'as pas intérêt à leur dire quoi que ce soit !
— T'inquiète, je garde le secret.
— Et toi, tu sors pas ?
— Non. Ninon est partie en vacances et Paul et Ivan aussi. En gros, y'a que moi qui reste ici comme un con. Mais comme ça, j'te couvrirai.
— Merci.
— Allez, à plus p'tit rebelle. Bonne chance pour la semaine prochaine !

• • •

Églantine déboula devant le pré de Fragrance et Caprice des Nuages. Arthus sursauta violemment et manque de tomber de la barrière sur laquelle il était juché.

— Tu m'as fait peur !

La jeune fille escalada la barrière et s'installa près de lui, esquissant un sourire contrit.

— Désolée. Je voulais pas rater le coucher du soleil.

C'était leur rendez-vous quotidien, malgré l'air froid de l'hiver. Même si le ciel était nuageux ce jour-là, il se colorait de couleurs toujours uniques et extraordinaires, et les deux adolescents ne se lassaient jamais de ces spectacles célestes.

Au moment où le soleil s'effaça à l'horizon, Caprice hennit et partit au galop, apeuré par le hululement d'une chouette. Fragrance répondit en soufflant bruyamment, l'air amusée. Arthus sourit. Son regard dévia vers la main d'Eglantine, fermement agrippée à la barrière. Cette dernière semblait apaisée, bien plus calme et confiante que ces derniers jours. Arthus se demanda quelle en était la cause. Sa famille ? L'approche de Noël et d'une nouvelle année ? Le coucher du soleil auquel ils venaient d'assister ? La présence des chevaux ?

Quoiqu'il en soit, il ne dit rien et observa. C'était sa façon d'être là : regarder. Il pensa que ça suffisait à Églantine, puisqu'elle resta un peu plus longtemps ce soir, et garda elle aussi le silence. Il se sentit alors plus léger, plus puissant.

Intérieurement, il clama qu'ils pouvaient changer le monde pour qu'il soit un peu mieux. Tous ensemble, ils pouvaient. Peut-être.

Apprivoiser les NuagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant