Chapitre 3

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Cancer

Jade


Quand nous étions plus jeunes, lors des enseignements du matin, Rowen avait une habitude assez étrange. Assez atypique, assez hors des sentiers battus.

Il posait beaucoup, beaucoup de questions.

Il posait des questions qui dérivaient loin de nos sujets, vers des interprétations sans sens par rapport à l'ailleurs. L'ailleurs pour parler de ce qu'il y a au-delà des murs de la Cité. Si d'abord, on ne s'offensait pas qu'il veuille s'informer sur le peuple des Oubliés, nos instructeurs ont commencé à voir rouge quand un jour, Rowen a voulu connaitre la vraie histoire des Pyros. La vraie, alors que personne n'avait jamais supposé que ce qui nous a été enseigné aurait pu être faux. Pendant quelque temps, il n'a plus participé aux enseignements du matin, on a raconté qu'il s'était fait punir, mais personne n'a jamais su de quelle façon.

Juste que depuis ce jour, il n'a plus posé de questions.

Et comme toujours, nous avions peut-être ressenti de la compassion à son égard pour un temps, mais c'était éphémère. Notre mentalité modelée dans la même argile depuis des siècles ne faisait jamais perdurer ce genre de sentiments. C'est pour ça que je n'en veux pas au Sage d'avoir tué ma maman, je suis habitué à passer au-dessus.

Le fait est que je me suis disputé avec Menyan quand j'ai compris que malgré la punition, la curiosité de Rowen n'était jamais partie. Je ne voulais pas m'infiltrer dans le Capitole. Je ne voulais pas franchir les murs de béton et d'acier, filer entre les mailles des hommes de fer pour au final me retrouver entre les griffes d'un démon.

Mais si je n'avais pas accepté, il n'y aurait pas eu d'histoire.

Alors la nuit est tombée, le vent s'est calmé et la pluie est devenue plus clémente. Le premier rayon de lune qui s'élève au-dessus du Capitole plonge sur le sol fissuré. Le paysage semble lunaire et hostile, mais les hommes devant les portes ont cet aspect presque majestueux. Un air de flûte pose son empreinte le long des ruelles, sur le petit porche délabré d'une maison lointaine, quelqu'un est en train de jouer pour le peuple. Il n'y a pas de couvre-feu officiel, mais personne n'est plus dans les rues quand la lune atteint un certain degré dans l'hémisphère. Et dans ce tableau décharné, Rowen, contre mon épaule, glisse contre une extension de mur.

—      T'es déjà entré dans le Capitole ? me demande-t-il sans même me regarder, son visage orienté vers les portes fixes et le rayon astral.

—      Les vulgaires citoyens n'y sont jamais entrés, Rowen.

—      C'est un grand pas pour les citoyens alors.

Son corps bascule agilement, il saute de l'étage supérieur pour atterrir à pieds joints dans un morceau de terre humide, qui absorbe le son de l'impact. C'est sûrement sa première victoire, au vu du sourire immense qui illumine le dessous de ses lèvres. Il lève les yeux, le vent faible secoue ses cheveux, il me fait signe de le rejoindre et je répète son geste pour une finalité similaire, quoique légèrement plus sonore. Le son de la flûte se tait et il n'y a plus qu'un écho de sa dernière note. Rowen et moi restons là sans bouger, plaqués si fort contre le mur que nous pourrions nous y enfoncer.

Quelques secondes passent, Rowen se met à avancer le long des dalles plus très lisses et je marche dans ses pas feutrés. Pourtant, il se retourne et plante son regard dans le mien avant de froncer le nez.

—      Tu fais quoi ?

—      Je te suis ?

—      C'est pas le plan.

Les enfants de la pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant