Chapitre 5

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Vierge.

Cornaline




Callisto est partie, j'en suis sûr. Et peut-être que je me cherche une excuse. Pour mettre des mots sur ce tiraillement que je ressens, cette oppression dans ma poitrine. J'essaye de me dire que si Callisto est loin, il n'y a certes plus personne pour me remonter les bretelles, mais également plus personne pour me venir en aide.

Je suis entre les griffes d'un démon.

Pourtant, c'est une pensée à double-tranchant, une sensation multidirectionnelle. Je ne me sens pas en danger, du moins bien moins que lorsque j'ai entendu les pas de la séraphine quand elle est revenue, ayant perçu le bruit de mon agitation jusque dans l'Agora. Au fond, je ne pense pas que je m'en serais sorti simplement avec quelques sermons, si on m'avait surpris dans cette situation.

J'aurais sûrement subi le même sort que Rowen quelques années plus tôt.

Peut-être pire.

Lentement je relève les yeux. Elle n'a pas bougé, toujours cette entité impossible à décrire. Un mélange de tout et de rien, un visage fin et presque lisse. Quelques reliefs de cicatrices la parsèment, c'est imperceptible de loin, même moins visible que la galaxie sur ses joues et son nez. Les lueurs chaudes qui baignent l'habitacle dansent comme des flammes dans ses yeux. C'est hérissant, je me sens nauséeux. Et j'ai chaud. Il fait chaud ici, c'est tiède mais sec : ce n'est définitivement pas une Hydros. Elle aurait déjà péri, sinon.

Il faut quelques secondes pour que je reconstitue le son de sa voix, la courbure que ses lèvres ont pris quand avec un rictus étrange elle m'a murmuré son nom.

Haël.

—      Qui es-tu ?

La question m'échappe dans un souffle, je suis moi-même toujours à terre, face à elle. Son sourire devient plus retenu, un signe de résignation. Mais dans tout ça, elle a aussi l'air désolée. Envers moi ou elle-même, ou envers des personnes qui ne sont pas ici. Des personnes de là-bas, des gens comme elle. Je les vois, ces failles couchées sous ses lèvres, l'ombre dans son sourire, le trou noir qui dévore la nébuleuse de son regard.

—      La dernière.

Ça s'éteint, l'aura d'espièglerie et d'assurance s'éteint, l'ambiance paraît plus froide. Malheureusement, ça n'estompe pas mon malaise, au contraire, j'ai l'impression qu'il se décuple sous ses simples paroles. Je me mets à déglutir, une main sur le sol de poussière. De la terre sèche passe entre mes doigts, je retiens ma grimace et m'avance. Je m'avance vers elle sans en prendre réellement conscience. Elle m'observe, sous toutes les coutures. Peut-être que comme elle pour moi, je suis son mystère.

—      La dernière de quoi ?

—      De ma civilisation.

—      Quelle est le nom de ta civilisation ?

Elle rit, c'est presque douloureux à entendre. Ce rire me hurle : « Tu es un idiot » sans aucun filtre, avec un claquement métallique dans sa trachée, la souffrance des mots qui lui enserrent la gorge.

—      Nous ne nous donnons pas de nom, mais nous connaissions le vôtre : les Hydros.

Je fronce les sourcils, et je m'immobilise à mi-chemin. Je me place en tailleur, les paumes posées sur mes jambes, le tissu encore humide de mon haut tombe sur le côté de mon épaule, découvrant ma peau bien trop blanche, presque grise. Je la vois y poser ses yeux, moins d'une seconde, pupille figée, avant qu'elle ne les plante à nouveau dans les miens.

Les enfants de la pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant