Chapitre 7

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Scorpion.

Obsidienne

Ses histoires, c'est tout ce qui lui reste. Elle les raconte parce qu'elle les chérit. C'est son ancrage autant que sa hantise.

Haël, elle a aimé un garçon là-bas. Au-delà de nos murs, là d'où elle vient. Il y avait ses amis et sa famille. Il y avait des rues verdoyantes, des terrains flamboyants. C'étaient couleurs et frénésie. Avant que le voleur d'âmes ne les retrouve et ne les éteigne.

Haël, elle était joie et timidité pourtant. Alors elle ne lui a jamais avoué ses sentiments, même quand les déferlantes leur sont tombées dessus. Le déluge et les ouragans, il est mort sans savoir qu'une jeune fille l'a aimé un peu comme l'automne de là-bas. Elle lui avait tenu la main, une fois, et c'est tout. Il pleurait encore le départ de sa mère, terrassée par la maladie. Les pluies sans fin avaient inondé leurs terres, arraché leurs blés dans les ruissellements. Elles ont même réussi à prendre dans leur sillage les corps des plus faibles. Haël a perdu son plus jeune frère dans un torrent déchaîné, son sourire a disparu entre les cadavres. C'était un enchaînement de catastrophes qui menaient peu à peu son peuple à sa décadence.

Puis est venu le coup de grâce.

L'éruption volcanique. Le rugissement de la falaise.

Elle a senti le soufre et la silice quelques heures avant le point de non retour. Haël était déjà à la frontière quand la montagne a grondé dans le ciel. Quand les nuées ardentes sont tombées sur ses frères. Elle les avait prévenus, pourtant, sa voix déchirée de suppliques que personnes n'a voulu écouter. Ses parents ont disparu sous la cendre. Elle était la dernière, piégée à la frontière, les yeux meurtris verrouillés sur le carnage. Elle est morte avec eux, mais son corps a continué à la pousser au loin.

Attaquée par le temps, les créatures du désert et le poison des oasis, elle n'était plus que charpie quand au centre d'Amphibole, la cité des Hydros s'est dressée devant elle. Elle n'était plus qu'un fantôme décharné, malmené et effrayé. Haël est une jeune femme qui a affronté la mort cent fois. Ce n'est donc plus une surprise si quelque part dans ses yeux d'enfant, elle paraît avoir mille ans.

Voici une partie de l'histoire de la jeune fille de l'Ailleurs.

La jeune fille qui court depuis des heures dans l'Agora, sous mon appel réticent qui tente de canaliser son énergie. C'est la jeune fille qui lève les mains à la lune et danse sous son rayon. Sur la place déserte, sa cape vole dans la bruine. Elle sillonne le marché et je suis sa cadence en observant les maisons figées. J'ai peur de voir les silhouettes émerger pour découvrir le démon des contrées lointaines.

Haël rit entre les charrettes abandonnées, les stands pas tout à fait vides et les dalles de ciments qui composent une partie de la place publique. A côté, la végétation crée un contraste brusque, le béton est directement remplacé par la terre et la broussaille adaptée à l'orage. Haël se penche, mais trop abruptement, son corps tombe à genoux. Elle court depuis un quart de méridien lunaire, son organisme la rappelle à l'ordre mais elle pousse un glapissement un peu trop fort. Je me fige et me tourne, au loin, j'ai peur d'avoir entendu le réveil d'un citadin.

Quand à une fenêtre, quelque chose remue, comme une âme à peine réveillée, je me jette sur Haël. Pourtant nos mouvements se synchronisent mal et nous ne faisant que nous percuter. Et dans l'impact, nous trébuchons le long de la pente et entre les arbres. Nos corps s'écroulent loin des regards, sous nos cris étouffés. Ciel et terre tournent autour de moi, nous sommes stoppés dans ma propre plainte, à l'arrivée du ruisseau tout en bas, nos vêtements salis par la terre et l'herbe humide dans nos cheveux. C'est par instinct que j'ai rabattu mes bras autour d'elle, pour la protéger du choc, des dérapages que j'ai connus toute ma vie. Et bientôt, je vais m'énerver. M'énerver très fort.

Les enfants de la pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant