Chapitre 1

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Taureau

Malachite


On se réveille à l'aurore, sous le son des flûtes et des tambours. Ce n'est plus qu'une question de temps avant que les cris et les chants ne se mêlent à ce premier éclat. J'ouvre les yeux et me redresse, le corps étendu sur le matelas de mousse, d'une matière entre le textile et le végétal. Je m'étire et secoue mes cheveux, portant un regard encore fatigué à la fenêtre qui n'est jamais totalement fermée. Le ciel s'est enragé, des éclairs fragmentent les nuages et la pluie. Les festivités auraient semblé bien contradictoires pour une telle atmosphère, mais c'est ce qu'on a connu toute notre vie isolée : plus le tonnerre gronde plus la vie est joie.

Elle me dira un jour que ce n'était pas vraiment ce qu'on lui a appris, à elle.

Je me lève, marche le long de la voûte de béton friable, le plafond circulaire qui me donne cette impression de petitesse et de vertige en même temps. Sur le sol, la matière est la même, du ciment froid sous mes pieds nus. Je sens déjà que les choses sont différentes aujourd'hui, je le sens et l'entends, à la voix de Serim qui chantonne dans la brume. Il ne participe pas à l'Éveil d'habitude.

Je descends par l'escalier en colimaçon, qui tourne et tourne et tourne et mon oncle est assis contre la fenêtre de l'étage de dessous. Je le vois et me place à ses côtés sans un mot, ses yeux sont verrouillés sur le paysage mortifié. Ce qui diffère, est que malgré tout, l'air semble légèrement plus macabre à ce moment, légèrement moins accueillant.

Le monde, le peuple de la cité. La plèbe et les mendiants rassemblés dans le même cocon. Tous autour de l'estrade, ils s'agitent. C'est un chaos à la fois synchrone et désordonné.

Plus en arrière, j'aperçois notre camarade, Jern. En retrait mais bien ici, l'allure de son corps donne l'impression qu'il veut s'en mêler, à cette horde de corbeaux. Jern Iseult, il est minuscule, et pourtant il a mon âge. Maigre, chétif, un aventurier simplet et trouillard. Ses vêtements collés à lui tracent un peu plus les entailles de son squelette. Je le vois tourner sur lui-même, ses cheveux blonds sale plaqués à son front. Les pieds dans la boue, il hurle, appelle quelqu'un mais je ne l'entends pas. Il a l'air déboussolé.

Ce qu'il y a de plus grand parmi tout son être, ce doit être ses yeux, ils renferment un petit bout d'univers. Mais là il a peur, et je me surprends à amorcer un pas dans sa direction quand mon oncle me retient le poignet.

Il n'a pas besoin de me dire que ça ne sert à rien. Une partie de la foule s'écarte, une toute petite partie. C'est comme un effet en cascade miniature, les corps tournent pour laisser passer son sauveur. Il arrive, lui empoignant le bras pour l'éloigner de tout ça. Et maintenant ils sont deux, l'autre silhouette est plus discrète, à peine discernable. C'est un contraste niveau dynamique, une rupture dans le tableau. Quand Nari arrive tout contre lui, les airs de la foule fondent sur leur dos, telle une ombre. J'ose un coup d'œil furtif vers l'homme à ma gauche. Il a les siens sur les deux citadins. A travers son faciès, c'est quelque chose de dur mais empreint de pitié.

—    Pourquoi ils ne viennent que lorsque c'est laid à regarder ?

Il murmure cette question pour lui-même, il sait que je ne saurai pas y répondre. Nari et Jern ne viennent que rarement sur l'Agora, la place publique. Et généralement, c'est parce que Nari doit venir chercher ce petit frère, après que ce dernier s'est éclipsé en douce. L'un est trop insouciant, l'autre a la phobie du monde. Mais même avec cette peur de la foule, voir Jern signifie toujours de voir Nari pas très loin. Il y a celui qui vit et celui qui protège.

Personne ne leur parle, ce sont des parias. Les parias sont mal vus, ici. Personne ne comprend, tout le monde les trouve bizarres. Entre Jern qui sourit et pleure au rien, ou son frère qui a renié sa propre famille, qui s'est exilé dans les montagnes pour ne plus nous voir, on les trouve bêtes et ingrats.

Les enfants de la pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant